S’il y en avait bien un qui incarnait le jazz à la française, si ce n’est le jazz français tout court, c’était lui : Claude Bolling, parti à quatre-vingt-dix ans, ce 30 décembre dernier. Disciple de l’immense Duke Ellington – Boris Vian va même jusqu’à le surnommer « Bollington » –, il crée son propre orchestre, le Claude Bolling Big Band, 24 ans après la fondation du Hot Club de France, dont la figure tutélaire demeure le fameux Hugues Panassié, tenant du jazz à l’ancienne et adversaire résolu d’un bebop trop moderniste à son goût, mais également l’homme grâce auquel Sidney Bechet réalise ses premiers enregistrements.

Là, une parenthèse historique s’impose. Pourquoi une telle passion française pour cette musique venue de si loin ? Tout simplement parce qu’en 1918, les Français rencontrent les premiers soldats afro-américains, venus en nos contrées avec des notes virevoltantes et des rythmes étranges plein la tête. Ce, au grand désarroi du général Pershing, commandant en chef du corps expéditionnaire américain en France, qui exige de ses homologues français que nos soldats ne fraternisent pas de trop près avec les siens, lorsque noirs de peau. Indigné, l’état-major français ne donne pas suite.

Dès lors, la France devient véritable terre promise pour les bluesmen et les jazzmen fuyant la ségrégation raciale des USA. Car chez nous, on les considère comme des musiciens et non point comme de simples Noirs. Ils ont table ouverte dans tous les restaurants les plus huppés de la capitale. À l’auteur de ces lignes, Jean Bourdier, ancien directeur adjoint de Minute, et par ailleurs fin connaisseur de cette musique, précisait : « Mieux, il y avait les rencontres galantes. Mon ami, le bluesman Big Bill Broonzy me disait que les femmes blanches étaient fort intriguées quant à la générosité supposée de dame nature quant à la taille des parties intimes des Noirs. Elles voulaient souvent vérifier de tactu et mon ami Big Bill ne savait pas dire non à une dame… » D’autres musiciens tels que Memphis Slim, Luther Allison ou l’immense Billie Holliday feront donc de la France leur patrie de cœur. Assa Traoré et ses amis seraient bien inspirés de réviser ou, tout simplement, de découvrir leurs classiques.

C’est dans ce monde joyeux, même si le Paris d’après-guerre demeure pauvre, que Claude Bolling devient le pianiste qu’on sait. Son clavier fait alors les belles nuits du Quartier latin. Pour Boulevard Voltaire, Jean-Marie Le Pen se souvient : « On dansait jusqu’à l’aube. On faisait la fermeture du Caveau de la Huchette, du Lorientais et du Kentucky. J’étais très copain avec Claude Bolling, même si, dans toute cette petite bande, c’était le clarinettiste Maxime Saury mon meilleur ami. Et puis, il y avait encore le chef d’orchestre Claude Luther, qui était lui aussi très proche. Quoi qu’il en soit, avec la mort de Claude, c’est encore un peu de ma jeunesse qui s’en va… »

En attendant, celui que pleure également Brigitte Bardot, « parti en emportant avec lui ma jeunesse et soixante ans d’amitié fidèle », aura été l’un des jazzmen français les plus prolifiques, avec près de quarante disques au compteur, ainsi qu’une bonne centaine de musiques de films. Ainsi se rappellera-t-on principalement de Borsalino, de Jacques Deray, en 1970, et, évidemment, du Magnifique, de Philippe de Broca, en 1973, sans oublier, bien sûr, le célébrissime générique des Brigades du Tigre .

Il n’y a pas que la jeunesse de Jean-Marie Le Pen et Brigitte Bardot qui fait aussi ses valises ; nos souvenirs un peu, aussi.

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01 janvier 2021 à 9:45

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