Château-Larcher, petite commune de la Vienne, a rendu hommage, le 11 novembre, à une enfant du village tuée dans les attentats du 13 novembre 2015, inaugurant une plaque à son nom aux côtés de ceux des soldats morts pour la France : "Aux victimes du terrorisme - Chloé Boissinot 13 novembre 2015".

Pour le maire, Francis Gargouil, suivi par tout son conseil municipal, "Chloé est morte au cours d’un acte de guerre ; c’est une victime de guerre au même titre que les soldats de la commune".

Cette initiative pose évidemment une question, quelle que soit l’horreur du drame dont Chloé a été victime : celle de la nature des victimes dont ledit monument doit faire souvenance.

On oublie que, la guerre de 1914 étant limitée dans l’espace au nord-est du pays, sans occupation nationale ennemie, elle n’a pratiquement pas été ressentie dans le quotidien de la majeure partie du pays.

Un monument local - ce qui n’existait pas auparavant - dédié à tous ceux du village qui avaient fait le sacrifice de leur vie était donc un bon moyen de perpétuer leur souvenir, partout où les séquelles de la guerre allaient s’effacer d’autant plus rapidement qu’aucune opération militaire ne s’y était déroulée.

Cette plaque pour Chloé Boissinot inaugure une nouvelle catégorie de victimes appelant au devoir de mémoire : celle de victimes « passives », qui ne se trouvaient pas sur le front - avec les souffrances, les privations et l’héroïsme délibéré que cela implique - mais qui se sont simplement retrouvées un jour, pour des motifs divers, aussi dramatiques soient-ils, au mauvais endroit au mauvais moment…

Or, ces victimes civiles d’actes de guerre furent aussi diverses que nombreuses !

Si on honore aujourd’hui une victime d’acte terroriste comme victime d’acte de guerre, cela implique d’abord que toutes les victimes du terrorisme doivent être honorées de la même façon et cela impose une politique nationale d’inscription.

Au-delà, il ne serait que justice que tous ceux déjà effectivement reconnus comme victimes d’actes de guerre - trop souvent considérées jusqu’ici comme « victimes collatérales » - soient pareillement honorés et inscrits sur ces monuments alors qu’ils sont souvent ignorés, au mieux rappelés sur des plaques soigneusement apposées à l’écart des monuments aux morts officiels !

Cela conduira, évidemment, à rappeler d’abord toutes ces victimes civiles de la guerre de 39–45 pour la plupart tombées en France pour « faits de guerre », à cause des bombardements alliés anglo-américains… À Caen, à Saint-Lô ou au Havre… pour la seule Normandie.

J’attends que l’on appose sur le monument aux morts de Gréville-Hague (Nord-Cotentin) la plaque commémorative, actuellement trop discrètement scellée sur le muret de l’église, en souvenir des victimes civiles de 1944, notamment des seize personnes (deux familles complètes) disparues lors de l’explosion de leur maison un soir où un bombardier, ayant raté sa cible, a vidé ses soutes au hasard pour s’alléger avant de regagner ses positions outre-Manche… Ce que l’on appellera des victimes « collatérales ».

J’attends aussi qu’on inscrive sur le monument aux morts de Quibou (bourg de la Manche à 15 km de Saint-Lô) le nom de Louis Guérin, officiellement reconnu comme "Mort pour la France - victime civile morte par fait de guerre", assassiné pour avoir essayé de défendre sa femme, violée par des soldats noirs américains fraîchement débarqués!

Ce ne serait effectivement que justice…

Et ce ne sont là que de pauvres exemples locaux parmi bien trop d’autres…

Nous risquons donc d’ouvrir une drôle de boîte de Pandore…

Pourtant, ces morts-là sont bien aussi dignes d’être rappelées et honorées que les victimes d’actes terroristes, non ?

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15 novembre 2017 à 8:19

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