Dans un charmant petit livre intitulé Dernières nouvelles du futur (Points), l’auteur, Patrice Franceschi, nous met en garde : « L’ancienne vision de l’humanisme que l’on pouvait croire universelle par sa bienveillance et son ouverture est attaquée de toutes parts. » Et s’il dit aimablement que ses héros « nous donnent à voir le monde futur tel qu’il pourrait être si nous le laissons aller de lui-même », il faut, me semble-t-il, apporter une correction : ça n’est pas pour demain, on y est !

Après l’annulation de la représentation des Suppliantes d’Eschyle, à la Sorbonne, au motif que le metteur en scène a fait porter à ses acteurs « des déguisements raciaux » (blackfaces) ; après la publication, dans Le Monde, d’une tribune réclamant le rejet public de l’architecte Le Corbusier, accusé d'avoir été proche du régime de Vichy ; après que des féministes eurent demandé qu’on ne rende point « hommage » à la cinéaste Agnès Varda mais un « femmage »
Après, donc, toutes ces inepties de belle facture, voilà qu’une bande d’abrutis du même acabit réclame l’arrêt de l’exposition Toutânkhamon à la Grande Halle de la Villette.

Le pharaon était-il nazi ? Était-ce un affreux macho, un « porc » à balancer ? Foin des devinettes ! Je vous donne la solution : les égyptologues et commissaires de l’exposition ont caché au monde cette indicible vérité : Toutânkhamon était noir et tout son peuple avec.

Cette théorie est, paraît-il, « bien connue des sites complotistes et des égyptologues français, qui observent depuis plusieurs années sa propagation, y compris dans leurs salles de cours », nous dit Le Point avant de donner la parole à Bénédicte Lhoyer.

Cette dame est docteur en égyptologie, elle enseigne à l’École du Louvre et à l’université Paul-Valéry-Montpellier 3. Autrement dit, c’est une savante, ce qui la rend éminemment suspecte aux yeux des imbéciles qui fermentent sur la Toile et manifestent à l’entrée de l’exposition de la Villette.

C’est bête comme les menées du CRAN et l’on voudrait pouvoir en rire. Sauf que ça prend de l’ampleur. Sauf que la bêtise et l’ignorance sont, aujourd’hui, vindicatives et militantes. Sauf qu’elles s’étalent, s’enflent et prospèrent sur les réseaux sociaux et qu’on ne voit guère ce qui pourrait arrêter cela.

Des années que cette théorie traîne dans « les milieux africanistes » : le royaume d'Égypte était noir et « les égyptologues blancs auraient brisé les nez des statues et des momies pour dissimuler le caractère épaté de ces derniers, preuve de l'origine africaine des Égyptiens ». C’est d’ailleurs « pour cette raison que le Sphinx fut abîmé à cet endroit stratégique... ». Car le sphinx aussi était noir, c’est connu !

Une fois de plus, on aimerait en rire, mais « aujourd'hui, ce discours est récupéré par des gens qui expriment une espèce de violence identitaire dans le but de faire une sorte d'OPA sur l'Égypte ancienne. L'archéologie est devenue une arme pour eux », dit Bénédicte Lhoyer. Et quiconque conteste ces théories fumeuses se fait évidemment traiter de raciste désireux « d'empêcher l'homme africain de prendre sa véritable place dans l'histoire ».

Cela déborde des réseaux sociaux pour se répandre dans les universités : « Certains étudiants nous accusent de propager une vision blanche de l'histoire, on nous explique que nous n'avons aucune légitimité pour parler de la civilisation africaine, que nos travaux et notre pensée s'assimilent à du racisme », poursuit-elle.

Impossible d’argumenter, « ces gens-là ont un public friand de ces absurdités, car elles flattent une identité ». Le pire est la lâcheté générale, celle des institutions devant ce « courant qui veut nous interdire la réflexion et la pensée ». « L'université commence à abdiquer, on est en train de tout aseptiser, quitte à modifier les choses au nom d'un pseudo-respect de la personne », dit Bénédicte Lhoyer.

Et demain, l’on enseignera que le Sphinx était noir, avait le nez épaté et jouait du djembé…

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 16:40.

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12 avril 2019 à 23:23

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