Grande Transformation et tendances lourdes

Il ne s’agit pas, ici, de dresser un énième bilan catastrophiste de notre avenir proche - pénuries énergétique ou alimentaire, épuisement des terres arables, fonte de la calotte glaciaire arctique, explosion démographique du tiers-monde, extinction massive des espèces animales, vieillissement des populations européennes de souche, déferlement migratoire et Grand Remplacement -, les projections de la CIA suffisent amplement à cela[ref]Global Trends 2030[/ref]. Intéressons-nous plutôt à ce que nous avons sous les yeux sans toujours le discerner, à savoir des phénomènes qui sont de sûrs indicateurs de la Grande Transformation en cours. Laquelle n’est pas seulement sociétale, avec la révolution des mœurs et la normalisation de comportements hier encore jugés déviants (voire pathologiques ou bien criminels, telles les procédures abortives illicites) ; avec l’unification d’un marché planétaire ringardisant des sociétés devenues postindustrielles ; avec une reconfiguration géopolitique mondiale et la constitution d’un bloc eurasiatique disputant l’hégémonie à l’Amérique-monde…

À y regarder de plus près, L’Ère des organisateurs, décrite par James Burnham en 1947, prend aujourd’hui, soixante-dix plus tard, tout son sens. Sur le Vieux Continent, la technocratie s’est effectivement imposée avec la construction de l’entité européenne. Au reste, l’évidente fiction démocratique a survécu tant que les États balayés par le vent de la mondialisation (et par la crise endémique accompagnant les restructurations économiques) ont pu maintenir une certaine souveraineté et une part d’autonomie dans leur gestion, jusqu’à ce que le maillage des traités et des directives (oukases) imposées par Bruxelles ait révélé le pot aux roses : l’indépendance des États européens avait vécu.

La crise actuelle qui oppose Bruxelles à Varsovie en est une bonne illustration. Le plus remarquable, dans cette affaire, tient en la volonté de la Commission européenne d’imposer aux Polonais la prééminence du judiciaire sur l’exécutif au motif (controuvé) de la séparation des pouvoirs. Ceci n’est pas anodin et permet d’identifier une tendance réellement lourde devant aboutir à l’effacement du politique au profit du gouvernement des juges appelés à régler, seuls, les différends entre acteurs économiques et sociaux. On le voit désormais avec le recours de plus en plus fréquent aux instances arbitrales (internationales ou non), et particulièrement aux tribunaux américains appelés à trancher les contentieux entre groupes transnationaux.

Des juges qui sont, en fait, de plus en plus politisés et idéologisés et appliquent les lois suivant une lecture anachronique, c’est-à-dire dans un esprit fort éloigné de celui de leurs rédacteurs. Magistrats qui interprètent les textes selon l’air du temps et suivant, par exemple, une sensibilité (parfois supposée compassionnelle) alors érigée en norme jurisprudentielle contraignante trop souvent au mépris d’un intérêt général bien compris. À telle enseigne qu’"en matière d’immigration, ceux qui décident ne sont ni les ministres, ni les préfets, mais les juges"[ref]Comme le déclarait Jean-Yves Le Gallou à Boulevard Voltaire le 7 septembre dernier.[/ref]. Lesquels se font les complices des passeurs en ne voulant voir qu’un acte d’humanité là où se trouve une infraction manifeste associée à un geste politique subversif. Conclusion : "Les ministres parlent en matière d’immigration, mais ils ne gouvernent pas, ce sont les juge qui décident aujourd’hui."

Or, au-delà de la seule question migratoire, si nous devons tirer un enseignement de ce constat lucide, ce serait qu’à présent, le politique s’efface de plus en plus devant le juridique. La nature du pouvoir est, par conséquent, de ce point de vue, en train de changer substantiellement. Il serait donc opportun de savoir où cela nous mène. Non ?

Jean-Michel Vernochet
Jean-Michel Vernochet
Écrivain - Ancien grand reporter au Figaro Magazine

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