« Il faut recréer le tissu de PME et de métiers fondamentaux pour soutenir nos champions industriels »

On vient d'apprendre que le déficit commercial en France, pour les onze premiers mois de 2017, s'élève à 60 milliards d'euros. Pour Thibaut de La Tocnaye, l'explication fondamentale de ce chiffre est l'effondrement de l'industrie française. Il faut donc réindustrialiser !

Thibaut de la Tocnaye, le déficit commercial de la France s’élève à 60 milliards d’euros. Cette information ne fait pas beaucoup débat en France aujourd’hui. Pourquoi y a-t-il une espèce d’omerta sur ce chiffre-là ?

Je ne pense pas que ce soit une omerta. Notre déficit annuel est malheureusement devenu tellement habituel. Cela fait presque 10 ans qu’on établit à plus de 50 ou 60 milliards le déficit annuel en balance commerciale.
Les deux maux dont on parle habituellement à savoir pouvoir d’achat en baisse et chômage sont évidemment intimement liés à ce fait.
L’explication fondamentale de ce déficit commercial est la désindustrialisation de la France. En 30 ans, la France a pratiquement divisé par deux les chiffres de l’industrie. On a perdu deux millions et demi d’emplois industriels. On a pratiquement divisé par deux le nombre d’emplois industriels au sein de l’emploi français, pour passer de 28 % à 14 %. Le PIB industriel a été lui aussi divisé par deux, alors qu’en Allemagne ce PIB a perduré.
L’industrie représente 80 % des exportations. C’est ce qui s’exporte et crée de la richesse et de la valeur ajoutée. L’industrie est fondamentale.
De manière plus large, tout l’économisme sérieux sait qu’une société développée telle que la France doit avoir une industrie forte. Même la Suisse qui est un plus petit pays a une très forte industrie. En machine spéciale ou en machine-outil de production, la Suisse a 12 % des parts mondiales, l’Italie 19 %, l’Allemagne 40 % et la France 2,4 %. La France qui était n°1 à égalité avec l’Allemagne en machine-outil s’est complètement effondrée.

La France a-t-elle encore quelque chose à vendre ou son système économique est-il uniquement tertiaire ?

Non, il y a encore 13 à 14 % d’emplois industriels. La France exporte effectivement des services, mais même là, elle a de plus en plus de problèmes pour exporter.
La raison de ce déficit commercial prend source dans le manque d’industrie. Pour traiter ce problème, il faudrait réindustrialiser.
Pour réindustrialiser, il faut un État stratège et des branches professionnelles dignes de ce nom. Or en France, ce sont deux choses qui sont complètement en déliquescence.
Je ne parle pas d’un État tout puissant qui se substitue à l’économie, mais d’un État qui pense avec les branches professionnelles la réindustrialisation dans les secteurs où la France peut être forte, a été forte, est encore forte avec un certain nombre de champions industriels.
Nous avons des champions industriels en France. Le problème se situe dans la disparition de toute la chaîne d’intégration de PME et d’ETI qui fournissent toutes les chaînes de sous-traitance aux champions industriels. Nos champions industriels sont aujourd’hui pratiquement obligés d’importer tous leurs composants.
Il faut recréer le tissu de PME et le tissu de métiers fondamentaux pour soutenir nos champions industriels.

Est-ce que la vente d’armes est une part importante de notre industrie ou s’agit-il simplement de campagnes de communication ?

Bien sûr, l’industrie de l’armement est une des plus belles. Elle a des retombées dans beaucoup de domaines autres que l’armement. C’est une industrie de très haute technologie.
C’est encore un de nos champions industriels. C’est une chance. Pour cela, il faut la soutenir en soutenant tout le réseau de sous-traitance constitué par des PME et des ETI qui sont en train de disparaître.
Il y a en France un certain nombre de phénomènes qui matraquent et portent à l’élimination des PME et des ETI. C’est extrêmement grave. On tire notre épingle du jeu en matière de champions industriels. Mais c’est toute la chaîne de sous-traitance qu’il faut soutenir par le système bancaire notamment et tout un train de mesures qu’il faut développer. Très peu en réalité sont apportées par le gouvernement actuel.

Thibaut de La Tocnaye
Thibaut de La Tocnaye
Dirigeant-fondateur d’entreprises industrielles et high-tech, vice-président du Groupe RN au conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur

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