[EXPO] Entre féminisme et patriarcat : le mariage vu par Balzac et les artistes

Émile Charles Wattier, L’échelle conjugale (la haine), 1824 (détail).
Émile Charles Wattier, L’échelle conjugale (la haine), 1824 (détail).

Dix-huit ans d’amour à distance et six mois de mariage : Gonzague Saint-Bris résumait de la sorte la relation entre Balzac et Mme Hanska. Balzac l’a épousée en mars 1850, il est mort en août de la même année. Mince et tardive expérience qui n’a pas empêché notre romancier de traiter du mariage bien avant cela - et comment n’en aurait-il pas parlé, dès lors qu’il s’agissait de Comédie humaine ?

« Le mariage, écrit Félicien Marceau, c’est la grande affaire de Balzac. […] Non le sacrement (il y a peu de cérémonies nuptiales dans La Comédie humaine) mais le contrat, l’insertion dans la société, la formation d’une nouvelle cellule » (Balzac et son monde, Gallimard). Certains romans portent des titres explicites : Le Contrat de mariage, La Physiologie du mariage, Mémoires de deux jeunes mariés. Et puis, comment ne pas évoquer cet essai : Petites Misères de la vie conjugale.

Appuyée sur quelques citations bien frappées, l’exposition de la Maison de Balzac est illustrée par les dessinateurs de l’époque, caricaturistes et humoristes qui trouvent dans ce thème une inspiration vieille comme le monde, ou presque. Le grand Honoré Daumier dessine une série de Mœurs conjugales, le trop dédaigné Gavarni les Impressions de ménage. Par leur talent, ces deux artistes s’affranchissent du temps. On n’en dira pas autant de Grandville (malgré sa fantaisie) ou d’Henry Monnier, plus datés dans leur dessin. Mais il est amusant de les voir traiter le même sujet : Un mariage de raison.

Henry Monnier, Esquisses parisiennes - un mariage de raison, 1827.

Dans Les Métamorphoses du jour qu’illustre Grandville (ouvrage collectif de 1829), le mariage de raison ou de convenance, plus ou moins imposé à la jeune fille, est décrit comme une « association légale mais anti-naturelle », un « monstrueux accouplement ». Des expressions comme « prostitution légale » ou « viol légal » se trouvent chez Balzac, chez George Sand. Les Goncourt parlent du « mariage moderne, brusque et cynique, sans cour, sans flirtation aucune, que nous appelons un viol par devant le maire, avec l’encouragement des parents » (Journal, 15 avril 1868). Les féministes du siècle suivant n’ont pas inventé ces expressions. Elles les ont étendues au mariage en général alors que le XIXe les réservait aux unions dont l'amour était absent.

Des hommes pas toujours emballés

Le XIXe, d’ailleurs, n’idéalise pas le mariage d’un point de vue masculin. Pour un célibataire qui profite de la vie, c’est « la plus sotte des immolations sociales » (Le Contrat de mariage). Alphonse Daudet, avec Les femmes d’artistes (1878), n’a pas enjolivé non plus l’institution, élevant quasiment, à l’aide de contre-exemples, le célibat au rang de norme pour tout créateur. En se mariant, un écrivain ou un peintre bousille et son talent et le bonheur de son épouse. L’idée était déjà dans Balzac.

Torts partagés ? La série d’Émile Charles Wattier décline L’Échelle conjugale (1824) en échelons ascendants, de la rencontre au mariage, puis descendants, la vie conjugale, vite envahie par l’ennui (on rejoint là des lithographies de Gavarni ou Daumier, avec les époux dans leur salon, le visage enlaidi par le bâillement). À l’ennui succèdent les reproches, aux reproches les disputes, aux disputes la séparation de corps (le divorce n’est pas possible de 1816 à 1884). La démonstration est claire. Personne, ni l’homme, ni la femme - et, conséquemment, l’institution non plus -, ne sort indemne du mariage.

Aussi, parler de l’« autorité patriarcale » comme si elle était absolue et de sujets « entièrement occultés » - comme le dit l'exposition alors qu'elle prouve le contraire - est-il abusif. Les choses sont plus subtiles. « Mariée, [la femme] ne s’appartient plus, elle est la reine et l’esclave du foyer domestique », écrit Balzac, dans La Femme de trente ans. Reine et esclave : l’ambivalence dépasse les catégories admises par le discours féministe.

• Illusions (conjugales) perdues, jusqu’au 30/03/2025. Maison de Balzac, 47, rue Raynouard, 75016 Paris. De 10h00 à 18h00 du mardi au dimanche.

Honoré Daumier, Moeurs conjugales: Six mois de mariage…, vers 1840.

 

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Samuel Martin
Journaliste

Vos commentaires

2 commentaires

  1. Balzac est un initié, il connaissait les vibrations, et en particulier celles de l’amour. « La marquise de Langeais » en témoigne.

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