Éric Zemmour a-t-il raison de vouloir interdire Mohamed, premier prénom en Seine-saint-Denis ?

Tout est parti de ce fameux 11 septembre... 2021. Laurent Ruquier voulait mettre Éric Zemmour sur le gril à la sauce « sévice public ». Malgré l’obstruction très professionnelle de Léa Salamé, l’écrivain a pu développer un peu son hypothétique programme, réaffirmant que l’assimilation des immigrés musulmans passait par un sacrifice d’identité.

Lui Président, un Français n’aura pas le droit d’appeler son fils Mohamed. Ferme et clair. Et le voilà proprement retourné, le petit père Ruquier, lui, le multiculturaliste, encore honteux d’avoir, par souci d’Audimat™, banalisé les idées de Zemmour dans « On n’est pas couché » et qui voulait tellement, ce soir-là, se faire pardonner en révélant le diable. Pas assez d’envergure ou de méchanceté. Grillé, le Laurent ! Comme son saint patron.

Vieille polémique des prénoms, relancée par le succès de son dernier ouvrage où il affirme qu’il faut « obliger les gens à donner des prénoms français » à leurs enfants, car « appeler son enfant Mohamed, c'est coloniser la France ». Mardi, sur RTL, Zemmour a enfoncé le clou : « Ce qui me gêne, c'est qu'au bout de trois générations, on appelle encore ses enfants Mohamed. Pour les gens qui s'appellent Mohamed, c'est une erreur parce que c'est un objet de discrimination. C'est une erreur, aussi, d'autoriser les Kevin et les Jordan. » Éric Justin Léon Zemmour aurait pu s’appeler aussi bien Shlomo ou Zébulon. Ses parents ne l’ont pas voulu... C’est, pour lui, un marqueur essentiel ; pas qu’un détail. On se rappellera son clash médiatisé avec Hapsatou Sy, en 2018. Que ne s’appelât-elle Corinne ! Et Jordan Bardella lui a donné raison, déplorant le choix de ses propres parents, car il sait que « nommer, c’est classer ».

Invité aussi sur RTL, le lendemain, Gérald Darmanin a plutôt fait le jacques, histoire de s’opposer, s’affirmant « très fier » que son deuxième prénom soit Moussa ; hommage à son grand-père harki et courageux combattant de 1940. Et d’ajouter : « Il n'y a pas plus français qu'un Français de volonté. » Qui le conteste ? Que l’on soit de souche ou d’ailleurs, l’adhésion nationale sera toujours de volonté. Mais l’argument qu’il invoque est spécieux, il le sait, puisqu’au paraître social, il est d’abord Gérald, du vœu de ses parents de lui donner d’abord un prénom catholique d’intégration et peut-être de foi. Et mauvaise foi, donc, que celle du ministre, puisque Zemmour n’a rien contre le fait que Moussa ou Mohamed soit donné en deuxième prénom.

Revenons à nos Moussa : Gérard Darmanin, géniteur – et presque homonyme – du prodige de la Place Beauvau, était fils de Rocco, d’origine maltaise. Annie, sa mère, était la fille de Moussa, le héros de la guerre. Le Maltais et l’Algérien, déjà, avaient choisi, pour leurs propres enfants, l’intégration par les prénoms du calendrier. Ils n’avaient pas le choix, me direz-vous, puisqu’à l’époque, la loi napoléonienne de 1803 était seule en vigueur, qui n’autorisait que « les noms en usage dans les différents calendriers, et ceux des personnages connus de l'Histoire ancienne ». On pouvait bien se prénommer Léonidas ou Théodule, mais pas Jacquouille ou Peau d’zébi ! Malgré tout, sans doute le choix des aïeux du ministre des Cultes avait été, avant tout, vertueux pour intégrer pleinement leur destin familial dans leur nation de « volonté ». Bref, le vœu d’une assimilation sans pépins...

Si aujourd’hui, au niveau national, les Léo (4.496 naissances en 2020) et les Jade (3.814) occupent les premières places du classement, le prénom Mohamed arrive en 18e position. Il se hisse en tête du « Top 10 » en Seine-Saint-Denis. Rien d’anodin. Hala Salamé – qui se fait quand même appeler Léa – et Ana María Hidalgo Aleu – curieusement devenue Anne – applaudiront peut-être à la diversité... chez les autres. N’est-ce pas, plutôt, le signe d’un repli identitaire ou religieux, d’une fracture culturelle mortifère ?

« Si tu es à Rome, vis comme les Romains ; si tu es ailleurs, vis comme on y vit », a dit Ambroise de Milan. En plaçant le signal des prénoms au cœur du débat médiatique, c’est l’idée même de la reconquête d’une âme collective de la nation blessée que pose Éric Zemmour. Comment ? Il sait pertinemment qu’interdire ne suffira pas.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 16/12/2022 à 10:27.
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Pierre Arette
DEA d'histoire à l'Université de Pau, cultivateur dans les Pyrénées atlantiques

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