Entre art et fric, les NFT ne valent plus rien

Vous avez acquis des NFT ? Considérez, sauf exception, que vous avez jeté de l’argent par les fenêtres. Un rapport de la plate-forme spécialisée DappGambl a identifié 73.000 collections de NFT dont 95 % ne valent plus rien. Quatre NFT sur cinq ne trouvent pas acquéreur. Une mauvaise nouvelle pour les investisseurs, une bonne pour l’art et le bon goût.

Rappelons, d’abord, ce que sont les NFT (non-fungible token) : « Un NFT désigne un fichier numérique auquel un certificat d'authenticité numérique a été attaché. Plus exactement, le NFT est un jeton cryptographique stocké sur une blockchain. Le fichier numérique seul est fongible, qu'il s'agisse d'une photo, d'une vidéo ou autre, le NFT associé est non fongible. » Si vous en êtes restés à l’idée qu’une œuvre d’art, c’est un tableau accroché à un mur, le concept de NFT est abscons. En gros, les œuvres d’art n’ont d’existence que numérique et le système de la blockchain permet d’en certifier la propriété. La transaction se fait en cryptomonnaies, qui repose sur le même principe de blockchain.

La révolution annoncée tourne en eau de boudin

Il y a deux ans, il était annoncé que les NFT allaient révolutionner le milieu de l’art. Tous les artistes allaient devenir connus et riches. Les collectionneurs, forcément jeunes, allaient s’enrichir par le jeu des acquisitions et des reventes. Des maisons aussi prestigieuses que Christie’s et Sotheby’s se mirent à vendre des NFT. En 2021, Sotheby’s en vendait pour 100 millions de dollars, Christie’s 150 millions – dont 69,3 millions rien que pour un collage virtuel de l'artiste numérique Beeple. Après les cailles de l’art contemporain, la manne des NFT !

Les escrocs emboîtaient le pas, les institutions aussi. Le Centre Pompidou acquérait des NFT, mais aussi le plus pépère musée Granet (Aix-en-Provence). Le musée des beaux-arts de Boston débitait en NFT des Monet, des Degas, des Renoir, le Thyssen-Bornemisza (Madrid) un Van Gogh : c’était, soi-disant, « la démocratisation de l’art », la plate-forme Olyverse expliquant, à ce sujet : « Nous voulions un artiste universellement reconnu, qui incarne la même philosophie que la nôtre. » La philosophie de l’art tel que la concevait Van Gogh — et telle qu’il l’a vécue — aurait donc quelque rapport avec l’obsession du fric et la plouquerie qui consiste à pouvoir regarder un chef-d'œuvre numérisé sur un écran plat (c’était un des arguments de vente) ? Pauvre de nous !

Le relativisme en plein

Dans le domaine des NFT, rien n’est art et tout est art. Le relativisme règne en maître. Un Monet est l’égal d’une figurine Pokémon pixélisée - il lui sera inférieur si les spéculateurs l’estiment bon. Globalement, on trouve d’assez laides images dont vous ne voudriez pas pour fond d’écran. Un coup d’œil sur OpenSea, l’une des principales plates-formes de vente de NFT, permet de se faire une idée de ce qu’est l’art pour des geeks… et des spéculateurs. Justine Bieber, le chanteur américain, a acheté 1,3 million de dollars un célèbre NFT qui représente un singe qui pleure (issu d’une série de singes blasés : tout un symbole). Le bon goût s’est vengé : son NFT ne valait plus que 55.000 dollars, en juillet dernier.

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Sans nier les qualités esthétiques que peuvent avoir certaines images numériques ou certains jeux vidéo, les images dont nous saturent les écrans ne répondent pas à cette haute définition de l’art donnée par le sculpteur Henri Charlier : « une œuvre de l’esprit faite pour traduire et transmettre la vie de l’esprit ». L’étude menée par DappGambl relève d’ailleurs, tout en ménageant une place au relativisme, que c’est l’un des aspects du problème : « Bien que la définition d’un art comme "ayant du fond" soit discutable, il va de soi que beaucoup pensent qu’une grande quantité de NFT sur le marché n’en a pas, sinon il y aurait une demande pour y répondre. »

La chute des NFT ne les fait pas pour autant disparaître de la scène. « À mesure que le marché mûrit, les NFT sont susceptibles de passer de plus en plus de simples objets de collection à des actifs ayant une utilité et une importance concrètes. » Que l’art soit le moins mêlé possible à ce joujou spéculatif, on ne peut que s’en féliciter.

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