Interrogé, ce mardi 5 juillet, par l'élégante Apolline de Malherbe, Gérald Darmanin était venu avec un solide bagage philosophique. La dernière fois que la journaliste l'avait reçu, il avait, on s'en souvient, répondu avec une rare vulgarité « Calmez-vous, Madame, ça va bien se passer ». Portée par plusieurs siècles de fierté, Apolline la bobo était redevenue Madame de Malherbe en une demi-seconde. Droite comme une lame et froide comme la mort, elle avait symboliquement écrabouillé le petit politicard de Roubaix juché sur son arrogance de celui qui a réussi trop vite. Pour le match retour, Gérald, donc, avait plutôt intérêt à assurer.

« Bagage philosophique », donc, puisque Darmanin avait appris une distinction importante : celle qui sépare l'adversaire de l'ennemi. Le ministre a donc probablement lu Carl Schmitt et Julien Freund. Il a potassé ses fiches dans la Vel Satis. Mais bon, que voulez-vous, quand on n'a pas l'habitude, on récite mal. Ainsi, donc, les « adversaires » de la Macronie seraient LR ou le PS, tandis que ses « ennemis » seraient LFI et le RN, qui ne sont, d'après son patron, « pas des partis de gouvernement ». Un adversaire, si on comprend bien la pensée complexe du ministre de l'Intérieur, c'est quelqu'un avec qui on n'est pas d'accord mais avec qui on peut discuter, « au cas par cas », « texte après texte », dit Olivier Véran. Un ennemi, en revanche, c'est quelqu'un qui vous est totalement autre, ontologiquement. Quelqu'un avec qui aucune discussion, aucun compromis n'est possible.

Darmanin n'est pas allé au fond des choses. Il s'est contenté des éléments de langage. Bruno Le Maire, normalien et germaniste, aurait sans doute fait mieux, mais il a un peu de travail en ce moment. En réalité, nos ennemis comme nos adversaires nous définissent. Ils disent ce que nous sommes, ce qui est pour nous infranchissable, ce dont nous avons peur. Ils sont notre ombre, en quelque sorte, comme aurait dit Carl Jung. Ils doivent être choisis avec soin, disait Nietzsche, car ils nous font grandir. La distinction pédante entre ennemi et adversaire n'a pas vraiment lieu d'être en politique, sauf à considérer que, décidément, nous sommes devenus le pays des accommodements, comme le prince Salina le disait de l'Italie dans Le Guépard. Darmanin dit « adversaire », il veut dire sparring partner [partenaire d'entraînement, NDLR]. Nous sommes entrés dans l'ère du catch politique, surjoué, spectaculaire, plein de coups de menton et de punchlines, mais réglé d'avance et dont les protagonistes sont bons camarades.

Bref ! Outre sa discutable capacité de réflexion, le ministre a également méprisé, dans la plus pure tradition macronienne, des millions d'électeurs - ceux qui ont voté pour les tenants des deuxième et troisième places à la présidentielle, ceux qui ont voté pour les principales forces d'opposition à l'Assemblée nationale. Ils n'en sont pas à leur coup d'essai, mais cela mériterait peut-être un léger coup d'arrêt. Cette arrogance ne se justifie en aucun cas. Les macroniens ne sont ni plus intelligents, ni meilleurs, ni plus habiles débatteurs, ni meilleurs connaisseurs des dossiers que leurs opposants de LFI ou du RN. Tout ce qui les rend si conscients de leur importance, ces trentenaires en costume trop petit, ces quadras déjà morts de l'intérieur, ces stagiaires d'école de commerce, ces boutiquiers ridicules, c'est leur conviction de représenter le camp de la raison, « le cercle de la raison », dit Alain Minc. C'est de plus en plus léger, de plus en plus fragile. On a l'impression d'être - en exagérant un peu - dans le film La Chute, en pleine fiesta dans le bunker. Que personne ne s'avise de dire à ces dignitaires finissants que, dehors, l'orage gronde et que la défaite s'approche. Ils en mourraient de peur.

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5 juillet 2022

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37 commentaires

  1. Si pour Darmanin le RN est un ennemi, un ennemi dont je fais partie, alors je dis moi que ce type est un con. Son grand père harki doit se retourner dans sa tombe. Je suis moi même ancien sous-officier décoré de la Légion d’Honneur, de la médaille Militaire et chevalier de l’ONM, blessé de guerre à 20 ans en Indochine.

  2. On peut dire tout le mal que l’on veut de Darmanin mais qui l’a mis et le garde en place? Macron

  3. « Subtil » distinguo, en parfaite opposition avec le discours de Borne, dont j’ai écouté le début… Qui est le plus…. borné ?

  4. « on a pas à discuter avec le front national » voilà une belle démonstration de démocratie macroniénne.
    Le menteur en chef a encore frappé.
    Non monsieur Darmanin c’est fini la politique du mépris, en face il y a une opposition, des « adversaires » politiques élus démocratiquement ne vous en déplaise.

  5. Il est vrai que pour celui qui a trahis sa famille politique, ceux qui restent fidèles à leurs convictions ne peuvent qu’être des ennemis.
    En digne successeur de Benallah, le petit ministre devrait se contenter de vider les poubelles de la macronnie.
    Il doit bien y avoir encore quelques zones industrielles discrètes, où bruler les document embarrassant, à découvrir.

  6. Son Patron Emmanuel Macron a dit dans une courte interview en septembre 2016 qu’il était en Mission transcendantale, donc G. Darmanin qui a bien trop vite grandi, a été promu, ne se sent plus, vise l’élévation encore plus haut. Rien ne doit l’atteindre. Rien ne doit changer. Ils se sentent invulnérables, car entre temps ils renforcent au delà des Alpes leurs adeptes de Armée de l’Ombre…

  7. Son Patron Macron a dit en interview en septembre 2016 qu’il était en Mission Transcendantale… donc Darmanin bien trop vite grandi dans la hiérarchie ne peut que s’agripper comme une arrapède

  8. « c’est leur conviction de représenter le camp de la raison, « le cercle de la raison », dit Alain Minc ». Pire que ça; le camp de la vertu, tous les autres ne représentant que le mal.

  9. des ennemis (représentants des millions de Français !) le ministre ,maire , député ….parle comme le futur ex préfet de Paris « nous ne sommes pas dans le même camp … »,son papa , apparu un peu dépité à la TV avait enfin compris ,qu’il avait cassé un de ses jouets « l’assemblée godillote » .qu’à cela ne tienne , on va jouer de stratège (le bon vieux « diviser pour mieux régner  » usé jusqu’à la corde .) une certaine presse parle d’intelligence ,ce qui s’apparente tout simplement à des magouilles

  10. Le parfait élève de son maître adepte du grand changement et d’évidence du nouveau gouvernement mondial .

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