Dans « Tout le monde veut prendre sa place », Nagui accable Pie XII : de quel droit ?
3 minutes de lecture
La politique se niche aujourd’hui à peu près partout, sauf dans les isoloirs. Ce qui est bien regrettable, car c’est à peu près le seul endroit ou (théoriquement) on la choisit. Ailleurs, on nous l’impose : dans les écoles, les universités, les entreprises, les publicités, le cinéma, le sport… et les jeux télévisés.
Celui-ci s’appelle « Tout le monde veut prendre sa place », est présenté tous les jours à 11 h 55 par Nagui et draine, à l’heure du déjeuner, le même public que, jadis, celui des « Mille francs », devenu celui des « Mille euros » : le retraité, la ménagère, l’agent hospitalier qui, de chambre en chambre, suit l’émission pour ne pas soigner idiot, etc.
Sauf que si Lucien Jeunesse était d’une grande modestie, n’outrepassant pas sa fonction, c'est-à-dire, par sa voix de stentor, tenir en éveil un public que l’assoupissement propre au début de digestion aurait pu distraire, il en va autrement de Nagui. Celui-ci se sent investi de missions - celle, par exemple, de convertir au veganisme ses téléspectateurs, ce qui, pour un public massivement composés de boomers ruraux, est audacieux - et a des prétentions intellectuelles. Pour chaque question, Nagui donne la - et surtout SA - bonne réponse. Assorti de SON petit commentaire, SA vérité.
Le 19 juin, l’une des questions était : « En 1939, sous quel nom le cardinal Pacelli est-il devenu pape ? » Pie XII, bien sûr. Et Nagui, à qui l’on n’avait rien demandé, de glisser aussi sec, l’air de ne pas y toucher, que ce pape n’avait d’ailleurs pas été très clair vis-à-vis de la montée du nazisme.
Rien que ça ! Parce que, bien sûr, Nagui est historien. A compulsé sans doute les archives sur le sujet, déclassifiées sur ordre du pape François en mars 2020 ?
Comme l’écrivait l’archiviste du Vatican, Johan Ickx, dans Le Figaro du 25 septembre, « la perception positive portée sur Pie XII juste après la guerre a été balayée par la pièce de Hochhuth, Le Vicaire, une création des services secrets soviétiques qui a joué un grand rôle dans le retournement de l’opinion publique dans tout l’Occident. Tous les historiens ont pris l’acte d’accusation de cette invention théâtrale - ami des nazis, Pie XII aurait sciemment détourné le regard et gardé le silence sur la persécution et l’extermination des Juifs - comme point de départ pour construire leur "vérité", mais sans connaître les pièces essentielles et originales. »
Oubliée, « la réalité d’une aide constante du Vatican aux Juifs de toute l’Europe - individus ou familles, via l’action d’un desk officer de la secrétairerie d’État ».
Occultée, « la rupture diplomatique définitive entre l’Église catholique et le gouvernement nazi, le 17 mars 1943, après la découverte d’une note du Saint-Siège critiquant la persécution religieuse pratiquée en Allemagne et dans les territoires occupés ».
L’archiviste parle pourtant d’une aide du Vatican « massive » : « Le Saint-Siège a mis en branle un réseau international d’aide et de secours qui a continué à fonctionner là ou d’autres organisations ont cessé d’agir (par impossibilité) 24 heures sur 24. »
Nagui a-t-il, par ailleurs, eu connaissance de l’encyclique Mit brennender Sorge, publiée le 10 mars 1937 par le prédécesseur de Pie XII ? Frappé d'illégalité sous le régime nazi, son texte est distribué secrètement dans toutes les paroisses d'Allemagne pour y être lu le dimanche des Rameaux, et en allemand plutôt qu’en latin, eu égard à son caractère politique afin d’être diffusé au plus grand nombre, et qui dénonçait l'idéologie nationale-socialiste ?
Nagui, qui jette l’opprobre sur l’un de leurs pontifes, a-t-il seulement une vague idée de la persécution massive dont ont fait l’objet les catholiques, durant cette guerre ? En attendant, c’est bien lui qui distille à dose homéopathique, chaque jour, ses leçons d’Histoire recuites et faisandées à une population qui n’a guère d’autre choix que les avaler. Via un pauvre jeu télévisé.