Les clefs d’une révolution de palais en Arabie saoudite
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Les révolutions surviennent généralement quand le peuple ne "veut plus" et que l’État ne "peut plus". C’est précisément parce qu’en Arabie saoudite le peuple commence à ne plus vouloir et la famille régnante à perdre son pouvoir que le prince héritier Mohammed ben Salmane semble devancer l’appel.
Onze princes, parmi les plus puissants, et quatre ministres en exercice ont ainsi été arrêtés sans autre forme de procès, si ce n’est celui qui les attend pour corruption. Du jamais vu à Riyad, d’autant plus que le fils du vieux roi Salmane n’affiche que trente-deux printemps. La raison d’une telle reprise en main ? Il y a tout simplement péril en la demeure et quelque chose de pourri au royaume saoudien.
Économiquement, tout d’abord. Voilà plusieurs années que le budget de l’État est en déficit. La pauvreté progresse en même temps que la démographie : 70 % des Saoudiens ont moins de vingt ans. Le prix du baril n’en finit plus de descendre et, la rente pétrolière s’amenuisant, il n’est plus possible de maintenir cet État-providence qui permettait naguère d’acheter la paix sociale.
C’est pour cela que la permission donnée aux femmes de conduire, loin d’être une mesure sociétale destinée à complaire aux opinions occidentales, obéit à des motifs autrement plus pragmatiques. Tout le monde doit se mettre ou se remettre au travail ; les maris comme les épouses. Et pour s’y rendre, elles ont besoin de prendre le volant ; leurs époux sont donc désormais censés avoir autre chose à faire que de leur servir de chauffeurs.
C’est toute la population qui va devoir se retrousser les manches au lieu de laisser ce soin à une population de travailleurs immigrés plus ou mois réduits en esclavage. Car là-bas, tout est importé, jusqu’aux objets de consommation les plus courants. Mais ces efforts demandés ne pourront être consentis que si l’exemple est montré jusque dans les plus hautes sphères gouvernementales ; d’où ce début de purge effectué sur le récent modèle chinois.
Les autorités religieuses opinent du chef. Ce qu’elles font toujours ; même chez les wahhabites, on sait ce qu’est la séparation des pouvoirs politiques et religieux. Autrefois, ces mêmes autorités monnayaient leurs complaisances contre toujours plus d’avantages. Rien ne dit que ce sera encore longtemps le cas et que les princes saoudiens accepteront de continuer de financer le prosélytisme wahhabite sur la planète ; ce qui n’est pas fondamentalement une mauvaise nouvelle.
Politiquement, la situation n’est guère plus brillante. Riyad s’est laissé embringuer, ou s’est embringué tout seul dans deux impasses : soutien à l’État islamique et équipée au Yémen, pays en proie à la guerre civile. Dans le premier cas, c’est l’Iran et son puissant allié russe qui sont sortis vainqueurs de la confrontation, contribuant ainsi à fragiliser les rapports privilégiés entretenus avec le traditionnel allié américain. Dans le second, c’est l’enlisement, au profit des houthis chiites soutenus par le même Iran contre les autres clans sunnites dont Riyad entend continuer d’être le protecteur.
Pour tout arranger, Téhéran a depuis longtemps anticipé l’après-pétrole en développant ses propres industries, qu’elles soient lourdes ou de pointe ; comme quoi l’embargo occidental n’a pas eu que du mauvais. Sa politique en Irak et en Syrie se déploie jusqu’au Liban, reconstituant ainsi cet arc chiite qui n’en finit plus de hanter le sommeil des souverains saoudiens.
Pour briser l’étau, le jeune prince Mohammed ben Salmane s’est fait la main sur ce qu’il estime être le maillon faible du Golfe : le Qatar. Mais le blocus décrété contre Doha n’est que modérément suivi dans la région ; même pas par Ankara, les Turcs préférant approfondir leurs liens avec un pays stable - l’Iran - que la pétaudière saoudienne. Reste le Liban, où le Premier ministre Saad Hariri vient de démissionner sur ordre de Riyad en dénonçant l’influence grandissante du Hezbollah allié avec le parti chrétien au pouvoir du général Michel Aoun.
Michel Touma, éditorialiste vedette de L’Orient-Le Jour, quotidien beyrouthin de référence, demeure dubitatif : "Mais est-il possible que Riyad s’emploie à affaiblir [...] le leadership sunnite au Liban – ce qui ferait le jeu de Téhéran – alors même que son objectif à l’échelle régionale est de combattre l’influence de l’Iran et du Hezbollah ? Ou alors l’objectif serait-il de mettre en place, précisément, un leadership plus radical ?" Dans les deux cas de figure, l’amateurisme et l’aventurisme saoudiens inquiètent plus que le pragmatisme iranien.
Le jeune prince a décidément encore bien des choses à apprendre.
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