Cinéma : The Father, de Florian Zeller

the father

Quand l’écrivain Florian Zeller décide, pour son premier long-métrage, de porter à l’écran l’une de ses pièces de théâtre – Le Père, mise en scène en 2012 – et d’en déplacer l’intrigue en Angleterre, le spectateur français s’interroge légitimement sur les raisons qui ont pu motiver un tel choix. Sans doute le cinéaste en devenir vise-t-il une carrière internationale et désire « s’adresser au plus grand nombre », selon l’expression bien connue – la France n’est décidément jamais assez grande pour nos cultureux en mal de cosmopolitisme…

C’est donc avec une pointe d’agacement, disons-le, que nous avons appréhendé The Father. Heureusement, le déroulé de l’intrigue et les qualités évidentes du film de Zeller ont su, très vite, nous faire oublier cet impair.

Le récit prend pour cadre le Londres des beaux quartiers (évidemment) et suit la lente dégénérescence mentale d’Anthony, 81 ans, qui en dépit de ses aptitudes intellectuelles, de son bagout et d’un bagage culturel certain, n’est plus capable désormais de vivre seul. Sa fille, Anne, s’efforce d’être présente, tente de concilier sa vie professionnelle et ses obligations filiales, et subit avec impuissance le délitement inéluctable de son couple, son conjoint ne supportant plus les sacrifices consentis au bien-être d’Anthony.

Le film de Florian Zeller, on le comprend d’emblée, ne finira pas dans la joie et la bonne humeur ; la solitude dans laquelle l’enferme peu à peu l’esprit brumeux d’Anthony le condamne à terme au silence, celui de l’incompréhension résignée des événements, de la perte totale de repères et du retour inexorable à l’enfance. Le grand mérite du cinéaste est d’avoir su représenter à l’écran ce vaste désordre intellectuel que subit son personnage principal, jouant çà et là de répétitions, de décalages temporels, d’incohérences et de changements d’acteurs inopinés, jusqu’à faire douter même le spectateur de la réalité de ce qui est montré à l’écran. Cette plongée dans la subjectivité d’Anthony flirte par moments avec l’inquiétante étrangeté et ferait presque passer The Father pour un film d’épouvante, pour peu que l’on puisse concevoir le cauchemar que vit une personne atteinte de démence sénile.

« La vieillesse est un naufrage », disait de Gaulle dans ses Mémoires de guerre. Un constat terrible qui, dans nos sociétés modernes hyper-individualistes, conduit bien trop souvent à reléguer nos vieux en bout de table, comme des enfants, avant de les expédier fissa en maisons de retraite, véritables mouroirs auxquels on délègue sans grande fierté la responsabilité de nos parents. Si ceux-ci nous ont donné la vie, estimons-nous avec ingratitude, rien ne les autorise pour autant à nous la gâcher. C’est à peu près ce que pense le conjoint d’Anne, bien qu’il ne l’intellectualise pas. Nous sommes loin de l’idée confucéenne selon laquelle « la piété filiale est le fondement de toute vertu » (Xiaojing, I, 2a).

Ainsi, malgré sa bonne volonté et son empathie sincère, Anne aura bien du mal à répondre présente jusqu’au bout.

Honnête, lucide, le film de Florian Zeller bénéficie, de surcroît, de la présence au casting d’Anthony Hopkins qui excelle à laisser percer le flottement perpétuel et le désarroi de son personnage. Un rôle unique dans la filmographie du comédien, qui justifie à lui seul le visionnage.

4 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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