Cinéma : Illusions perdues, une adaptation flamboyante par Xavier Giannoli

illusions perdues

Balzac est décidément à l’honneur dans les salles obscures. Quelques semaines après une adaptation gentillette et peu inspirée d’Eugénie Grandet sort sur les écrans une transposition magnifique d’Illusions perdues, réalisée par Xavier Giannoli, cinéaste qui nous avait déjà emballé en 2018 avec L’Apparition.

Publié en trois parties entre 1837 et 1843, Illusions perdues dresse un portrait acide et impitoyable de la presse française sous la Restauration. L’accent est mis ici sur l’adaptation du second tome qui concentre les attaques contre les faiseurs d’opinion et les falsificateurs en tous genres qui provoqueront un jour la chute de Charles X.

Rappelons, à ce propos, que par sa Charte de juin 1814, Louis XVIII garantit la liberté de la presse en France. Dès lors, en quelques années seulement, la capitale vit pulluler libellistes et polémistes, généralement divisés entre libéraux – de plus en plus influents – et royalistes. En un temps où la gauche postrévolutionnaire désignait clairement le camp libéral et où la droite ne rechignait pas une certaine conception holiste et verticale de la société, le pouvoir en place tentait comme il pouvait de donner des gages à chacun. Si Louis XVIII s’en sortit à peu près, son frère et successeur Charles X fut rapidement victime, d’après Pierre de La Gorce, d’une campagne féroce – virant au conspirationnisme antijésuite – de la part des journalistes qui pointaient des liens trop ostensibles entre le roi et l’Église. Un climat de défiance aggravé par sa promulgation de la loi d’indemnisation des émigrés dont les biens furent confisqués sous la Révolution – la presse vitupéra alors le « milliard des émigrés » (625 millions, en vérité…). Puis la loi punissant le sacrilège (votée mais jamais appliquée) ainsi que celle sur le rétablissement du droit d’aînesse pensée dans le but d’éviter le démembrement des grandes propriétés foncières (mais aussitôt enterrée par la Chambre des pairs) achevèrent définitivement la réputation de Charles X, qui joua son va-tout avec les quatre ordonnances de 1830, lesquelles mirent fin à la liberté de la presse et provoquèrent malgré lui une nouvelle révolution au terme de laquelle il perdit son trône.

Le roman de Balzac fut précisément écrit au lendemain de cette seconde révolution, bien que l’intrigue est à situer sous Louis XVIII, lorsque les journalistes commençaient à jouir d’un pouvoir absolu, encensant ou descendant les artistes en fonction de leurs réseaux ou de leur bakchich, et à terroriser le camp royaliste par la publication quotidienne de caricatures, de rumeurs et de fausses nouvelles – des « canards », comme le rappelle dans une séquence le cinéaste à ceux qui emploient aujourd’hui l’expression « fake news ».

Pour mieux se concentrer sur la critique du journalisme, le film de Giannoli choisit judicieusement d’écarter David Séchard du récit, personnage important des premier et troisième tomes d’Illusions perdues, afin de focaliser sur Lucien de Rubempré. Tout droit venu d’Angoulême, ce jeune poète aux ambitions littéraires se laisse aspirer par les lumières de la capitale avant de prendre part à la guerre d’influence qui est en train de se jouer et de sacrifier toute intégrité à son ascension sociale. Un choix qu’il paiera lourdement dans la mesure où ni les libéraux ni les royalistes n’apprécieront son jeu de girouette…

Avec une mise en scène baroque qui rappelle, par moments, le Scorsese des années 90, le cinéaste fait défiler non sans panache une galerie de personnages tous plus pourris et versatiles les uns que les autres – Vincent Lacoste, inoubliable, mais aussi Louis-Do de Lencquesaing et le regretté Jean-François Stévenin – et leur offre des répliques savoureuses à l’écriture ciselée. Sa plus belle trouvaille est sans doute la création de Nathan d’Anastazio, résultat malin d’une fusion de trois personnages du roman, qui permet à Xavier Dolan de prouver ses talents d’acteurs et de narrateur.

Le film réussit le tour de force de faire écho à l’époque actuelle, soit pour souligner les différences de mentalités – les journalistes du récit assument franchement leur malhonnêteté et ne se parent aucunement de vertu morale –, soit pour afficher quelques constantes… En cela, cette adaptation d’Illusions perdues est le meilleur procès que l’on puisse faire à ceux qui malmènent aujourd’hui le débat public et l’information, de l’amuseur Yann Barthès à Edwy Plenel, en passant par Ruquier, Morandini, Hanouna et bien d’autres…

5 étoiles sur 5

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Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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