Interdiction de l’avortement au Texas : vers une dynamique conservatrice pour les élections de mi-mandat ?

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En mai dernier, le gouverneur républicain du Texas, Greg Abbott, signait le texte de loi Senate Bill 8 (SB8), aussi appelé « The Texas Heartbeat Bill », limitant la pratique de l’avortement à six semaines de grossesse, période à laquelle les battements du cœur du bébé deviennent audibles. Entrée en vigueur au Texas le 1er septembre 2021, cette loi est au cœur de vives polémiques.

La réaction de l’opposition ne s’est pas fait attendre. La Cour suprême des États-Unis, ou tribunal en dernier ressort, qui avait initialement refusé de s’immiscer dans le débat a finalement organisé une audience en express, ce lundi 1er novembre, pour entendre deux plaintes à l’encontre de la législation texane. Les échanges ont duré trois heures. Le verdict devrait être remis d’ici quelques semaines.

La première plainte fut portée par le département de la Justice de l’administration Biden, requérant un blocage de cette loi qu’il juge anticonstitutionnelle. La deuxième plainte concerne le groupe Whole Woman’s Health, réseau de cliniques pratiquant l’avortement, qui a vu ses pratiques de « soins » abortifs en chute libre ces deux derniers mois.

Aussi, si l’ensemble des chaînes de télévision américaines étaient tournées vers Washington, DC lundi dernier, c’est bien parce que l’événement est de taille. Depuis 1992 (affaire Planned Parenthood v. Casey), jamais une affaire impliquant la Cour suprême, et liée à l’avortement, n’a eu autant d’ampleur. Pour les commentateurs républicains, le mouvement pro-avortement entend écrire la suite de Roe v. Wade en empêchant toute tentative de restriction au niveau fédéral. Rappelons que l’arrêt historique de 1973 rendait possible l’avortement aux États-Unis jusqu’à 24 semaines.

L’enjeu, ici, ne repose pas sur le droit à l’avortement mais plutôt sur l’imbroglio juridique de la législation texane. Ces dernières années, l’« État indomptable » et plusieurs autres États conservateurs (notamment Alabama, Missouri, Arkansas, Kentucky et Mississippi) n’ont eu de cesse de vouloir restreindre les possibilités d’avortement, les lois étant chaque fois invalidées par la justice fédérale suite aux recours des associations pro-avortement. Or, cette fois-ci, le gouverneur texan, en poste depuis 2015, a usé d’un stratagème permettant de contourner l’arrêt Roe v. Wade. De sorte que, de façon inhabituelle, l’application de la loi SB8 est laissée à la responsabilité des citoyens. Toute personne peut, par conséquent, poursuivre en justice quiconque aiderait ou pratiquerait un avortement au-delà de six semaines. À la clé, une récompense de 10.000 dollars...

L’affaire s’avère également une épreuve du feu pour les trois derniers juges – conservateurs – nommés par Donald Trump : Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett, respectivement en 2017, 2018 et 2020. Désormais à large majorité républicaine, avec six juges conservateurs sur neuf, l’intervention de la Cour suprême attise tous les espoirs des mouvements pro-vie.

Le journal de centre gauche Politico note pourtant que, pendant l’audience, Kavanaugh et Barrett ont exprimé des inquiétudes quant à la structure même de la loi « conçue pour échapper à la loi fédérale et à la révision constitutionnelle ». S’il semble assez improbable, en l’état, que la Cour suprême revienne sur Roe v. Wade, l’arrêt n’aura jamais été autant malmené, la Cour devant également intervenir en décembre sur le cas du Mississippi venant d’interdire l’avortement à plus de quinze semaines de grossesse.

Ainsi, quand en France l’avortement ne fait même plus débat, la question devient pivot pour une élection américaine et pourrait bien déstabiliser l’administration Biden. Avec l’élection du gouverneur républicain Glenn Yougkin en Virginie, s’affichant publiquement pro-vie, on peut raisonnablement penser que l’avortement sera un thème majeur des élections de mi-mandat, en 2022.

Véritable pied de nez à tous les zélateurs affirmant qu’il est impossible de revenir sur les lois sociétales, l’exemple américain nous montre que tout est possible.

 

Gaëlle Baudry
Gaëlle Baudry
Chroniqueuse à BV, spécialiste des Etats-Unis, consultante indépendante

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