À 77 ans, l’acteur Jean-François Stévenin n’est plus. Il était de ceux dont on connaît immanquablement le visage mais pas toujours le nom. Soit un éternel second rôle. Mais sans ces derniers, que serait le cinéma français ?

Imagine-t-on un seul instant Les Tontons flingueurs reposant sur les seules épaules du grand Lino Ventura ? Non. Parce qu’à ses côtés, il y a Francis Blanche, Venantino Venantini, Robert Dalban, Claude Rich et Paul Mercey ; pardon pour ceux qu’on oublie. Ou Le cave se rebiffe avec le seul Jean Gabin, sans Françoise Rosay, Franck Villard, Bernard Blier et Maurice Biraud ? Là encore, que les négligés veuillent bien nous pardonner.

Jean-François Stévenin était donc de cette trempe. Logique, il avait aussi la gueule qu’il fallait, gueule de mauvais garçon, gueule de brutal, gueule du gars qu’on rêve de ne pas croiser dans la rue, tard le soir. À en croire ceux qui ont eu le privilège de le reconnaître, l’homme était pourtant des plus charmants. Un peu comme Lee Van Cleef, autre gueule de carnassier, mais dont le principal loisir ne consistait pas au lancer de couteau sur cibles vivantes mais à… l’aquarelle.

Le profil du défunt était d’ailleurs autrement plus complexe que l’image qu’il renvoyait à l’écran. Diplômé d’HEC –promotion Pâquerette, ça ne saurait s’inventer –, il est tout d’abord stagiaire sur un film tourné à Cuba, mais n’en devient pas gauchiste de l’espèce exotique pour autant. En revanche, c’est en noble artisan qu’il fait ses gammes sur les plateaux de tournage : technicien dans tous les métiers possibles et imaginables ; puis assistant-réalisateur. Ce qui lui permet de seconder Jacques Rivette, l’un des cinéastes les plus énigmatiques de la Nouvelle Vague. Et c’est ensuite par hasard que Jean-François Stévenin devient acteur, tout simplement parce que pour un tout petit rôle, sa gueule est précisément celle de l’emploi, gueule qu’il promènera ensuite dans 116 films et 63 téléfilms.

Cela lui laisse malgré tout le loisir de réaliser trois films globalement inclassables : Passe-montagne (1978), Double messieurs (1986) et Mischka (2002), qui bénéficient d’une rétrospective organisée en 2018 par le très prestigieux Festival Lumière, à Lyon. C’est une sorte de reconnaissance, mais qui le laisse plutôt de marbre, à en juger de l’idée qu’il se fait du métier d’acteur, à l’occasion d’un entretien accordé au Monde, la même année : « Comme acteur, je n’avais aucune expérience, donc je me suis appuyé sur les gestes. Je me suis aussi aperçu que John Wayne n’était jamais debout comme un con, il fallait qu’il ait une Winchester à la main ou qu’il prépare un café avec la Winchester posée à côté de lui. Paul Newman, Montgomery Clift, Marlon Brando, ils s’appuient tous sur des gestes. »

Quant aux rôles interprétés, il donne encore ce joli point de vue : « On aime absolument tous les personnages, même le pire salopard de la Mafia. La vie, ce n’est ni noir ni blanc, c’est gris, c’est lumineux. »

Et des rôles, il en aura interprété, passant indifféremment de ce cinéma tenu pour « exigeant » par les cuistres de Télérama à des films autrement plus populaires, mais toujours de qualité, tel L’Homme du train, de Patrice Leconte (2002), ou le réjouissant Psy, de Philippe de Broca (1981), dans lequel il incarne un gangster de l’espèce réactionnaire perdu dans un ashram de hippies névrosés, pour ne citer que ces deux-là.

Bref, Jean-François Stévenin fut tout cela. Espérons qu’il est aujourd’hui parti rejoindre l’un de ses meilleurs amis, Johnny Hallyday. Ils pourront toujours chanter en chœur : « Ma gueule, qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? »

Salut l’artiste.

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28 juillet 2021 à 17:04

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