Le Français Peter Cherif, Abou Hamza de son nom de guerre, vient d’être arrêté par nos services secrets à Djibouti. Il est soupçonné d’être le commanditaire de la tuerie de Charlie Hebdo, perpétrée le 7 janvier 2015 par les frères Kouachi, dont il était l’un des proches. Dans la galaxie de l’islamisme de combat, il n’est pas le premier venu. Au début des années 2000, quand la police démantèle, à Paris, la tristement célèbre « bande des Buttes-Chaumont », il se bat déjà en Irak dans les rangs d’Al-Qaïda, à Falloujah, là où les Américains l’arrêtent en 2004. Deux ans plus tard, il est condamné à quinze ans de prison. En 2007, il s’évade pour rejoindre la Syrie, où il tombe aussitôt dans les filets du régime.

Il risque alors plusieurs années de prison. Incarcéré dans l’attente de son procès, il s’évade une nouvelle fois en 2011. Paris retrouve ensuite sa trace au Yémen. Il est devenu cadre d’Al-Qaïda et c’est dans un camp d’entraînement qu’il initie Saïd et Cherif Kouachi au maniement des armes. La suite est connue : la sanglante équipée de ces deux hommes causera la mort de douze personnes, le 7 janvier 2015, et Peter Cherif demeure introuvable - jusqu’à ce jeudi 20 décembre 2018.

Son arrestation prouve déjà ceci : malgré leur manque de moyens chronique, les services secrets français demeurent parmi les meilleurs au monde. Le terroriste Carlos, attrapé au Soudan après une cavale de plus de dix ans, le sait mieux que personne. Mais ce qui est plus instructif encore est l’emblématique parcours du prévenu, pour lequel le vocable d’« islamo-racaille » semble avoir été tout exprès forgé. Car à l’origine, il s’agit d’un voyou patenté, connu pour d’innombrables braquages et autres vols à main armée. « Peter », son prénom, peut donner à penser que ses parents, faute de l’assimiler à la société française, veulent, a minima, l’intégrer à la mode occidentale du moment : « Peter »… et pourquoi pas « Johnny » ? Ou « Cindy », s’il était né fille, tant qu’à rester dans le registre des séries télévisées américaines ?

Voilà qui nous en dit long sur l’état de la société française. Naguère, les beurs des cités voulaient ressembler à Renaud, qui lui-même se voyait en nouvel Aristide Bruant. Maintenant, le modèle civilisationnel, c’est le rappeur américain, le culte de la frime et du selfie qui nous vient des mêmes USA. C’est aussi l’individualisme forcené, la quête de la célébrité pour la célébrité : on rêvait, autrefois, d’être un acteur, un chanteur ou un sportif ; on se damnerait désormais pour être connu. Le néo-djihadisme des « quartiers », comme on dit ? Le versant sombre de la télé-réalité.

Pour des organisations telles qu’Al-Qaïda ou Daech, le vivier de recrues a longtemps été inépuisable. Peu importe que ces dernières poursuivent des buts plus politiques qu’eschatologiques – il n’y a guère qu’un Peter Cherif pour croire à l'instauration du califat mondial –, ces gens offrent-ils au moins un sens à une vie qui en est le plus souvent cruellement dépourvue. L’époque est au relativisme. Tout s’y vaut peu ou prou. L’homme peut y être femme et inversement. Les parents n’y sont plus rien. Les repères y ont disparu.

Un islam déviant, réduit à sa plus simple expression, peut ainsi faire figure de réponse idéale à certains esprits égarés. Au moins donne-t-il une raison de vivre et, surtout, de mourir, permettant au passage de racheter une vie de rapines, de débauche et d’égarement, tant la nature a horreur du vide. On peut traiter ces gens de fous et de barbares ; cela ne résoudra rien à longue échéance. Et les questions que l’on est en droit de se poser sur un Peter Cherif, on ne pourra faire indéfiniment l’économie de se les poser sur ce que nos sociétés, données pour être d’ouverture et de progrès, sont aujourd’hui devenues.

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21 décembre 2018 à 18:06

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