Cérémonies du 6 juin : commémorations ou parabole politique à la sauce Macron ?
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Ce jeudi 6 juin marquera le 80e anniversaire du débarquement en Normandie. Un événement considérable pour la région, qui s'apprête à accueillir 25 chefs d'État - dont le président ukrainien Volodymyr Zelensky -, 200 vétérans centenaires ou quasi centenaires et près de 50.000 touristes, en l'espace de deux jours. L'occasion d'une formidable tribune sous l'œil des caméras du monde entier pour un Emmanuel Macron annoncé affaibli par le scrutin des européennes. Nul doute que derrière l'hommage aux centaines de milliers de héros anglais, canadiens et américains qui ont débarqué le 6 juin, le show macronien prendra des airs éminemment politiques. Gabriel Attal, lors de son intervention surprise auprès de Valérie Hayer dans l'amphithéâtre de Radio France, en a déjà défloré le menu.
Un tournant idéologique qui, selon Philippe Chapron, ex-directeur du Musée de la bataille de Normandie à Bayeux que nous avons interrogé, s'est considérablement accéléré depuis l'ère Macron.
Un 80e anniversaire instrumentalisé à des fins de propagande
Ce fin connaisseur de l'époque, également élu de la région sous les couleurs du RN, déplore la récupération de ce grand événement version 2024. Il ne se fait guère d'illusion : « Ce 80e anniversaire sera instrumentalisé pour servir les prêts-à-penser et toutes les valeurs qui vont avec : "tolérance", "ouverture universelle à l'autre" et incantations du "plus jamais ça". Nous allons assister à la grand-messe du mondialisme, la glorification du modèle européen. Un véritable instrument de propagande qui sera sans nul doute utilisé pour agiter le spectre du retour des extrêmes droites aux élections à venir. »
Derrière les messages politiques, des réécritures de l'Histoire, note Philippe Chapron, qui nous donne cet exemple : « Les alliés sont vus comme des "libérateurs". Certes, ce sont des héros, mais on leur prête à tort des sentiments d'avoir débarqué "au nom de la liberté". Or, les héros américains, anglais et canadiens qui ont sauté des bateaux à l'assaut des armées d'occupation étaient des patriotes qui faisaient leur devoir de soldat en héros respectueux des choix de leurs chefs. » Notre spécialiste de cette période rappelle qu'à la veille du 6 juin, en préparant leurs troupes, les Américains mettaient en garde leurs soldats contre la population normande considérée comme potentiellement hostile : « Leurs chefs leur recommandaient de ne rien n'accepter des populations locales, pas même un verre d'eau au risque d'être empoisonnés. »
Avec la disparition des grands vétérans, l'évolution idéologique du message
Philippe Chapron avait 8 ans, lorsqu'il a participé à sa première cérémonie officielle. Par la suite, en tant que directeur de musée (fonction qu'il a occupée 38 ans), il participe à l'organisation de différents D- Day. « Avant 1984 [avec François Mitterrand, NDLR], ce n'était pas un événement à proprement parler français. Les grands chefs militaires de l'époque revenaient sur les lieux de mémoire pour commémorer la bataille. Ils représentaient l'autorité morale. Nos autorités civiles françaises n'étaient que poliment invitées à des festivités américaines, anglaises et canadiennes. » Mais au fur et à mesure de la disparition de ces illustres chefs de guerre (les derniers vétérans, présents aujourd'hui, avaient à peine 20 ans le jour J), les Normands ayant peu à peu pris conscience des possibles retombées économiques de l'organisation d'événements, la France a pris la main sur l'organisation des festivités.
L'occasion d'une évolution du message délivré car, nous précise-t-il, « petit à petit, l'évocation de l'héroïsme militaire, le patriotisme des pays concernés ont laissé la place aux notions modernes de combat contre l'oppression et pour la liberté. Au point que ce qui était une commémoration militaire est devenue la parabole politique du "plus jamais ça" qu'Emmanuel Macron ne manquera pas d'accommoder à la sauce qui lui convient. »
C'est en 1984 que le Président François Mitterrand donnera au 40e anniversaire « un faste sans précédent ». Dix ans plus tard, ce sera l'occasion pour lui de délivrer un « message européen » plaidant pour l'apaisement en Yougoslavie et en Afrique noire au gré de l'actualité internationale. Ce qui devait être une commémoration militaire devient tribune politique. À l'occasion du 60e anniversaire et pour la première fois, les Allemands ainsi que Vladimir Poutine (présent, également, aux 70e et 75e anniversaires) sont officiellement invités.
Et même à l'école
Une entreprise de formatage des esprits que l'on retrouve jusque sur les bancs des écoles, particulièrement dans celles du Calvados et de la Manche, qui, sous couvert d'enseignement de l'histoire - intention louable au premier chef -, délivrent leur message orienté et leurs éternelles leçons d'intégrationnisme sous prétexte de « plus jamais ça ». En témoigne ce morceau choisi enseigné dans une classe de CM2, ces derniers jours, en Normandie (d'un certain Pierre Guilbert) :
« Si l'injustice qui frappe les autres te révolte autant que celle que tu subis
Si pour toi l'étranger est un frère qui t'est proposé
Si tu partages ton pain et que tu saches y joindre un morceau de ton cœur
[…] Si tu sais accueillir et adopter un avis différent du tiens […]
Alors la paix reviendra ! »
Des Normands fiers mais pas invités
Quant à la population locale, elle sera tenue à l'écart des grands événements officiels. Si, selon Philippe Chapron, les Normands - et cela va de soi - sont fiers d'attirer ainsi l'attention sur leur histoire, ils en seront pour leurs frais : seuls les VIP et la grande presse auront accès aux cérémonies officielles. Routes bloquées et laissez-passer délivrés au compte-gouttes, la hantise sécuritaire prime. Notre interlocuteur le déplore : « Des touristes lambda qui ont payé 500 euros leur nuit d'hôtel seront exclus des plus grandes célébrations. C'est dommage, pour faire participer la population locale, il aurait fallu accepter un certain nombre de risques. »
Ainsi, les Normands devront se contenter de petits événements malgré tout nombreux, organisés un peu partout en marge du programme officiel : feux d'artifice, reconstitutions historiques, concerts, bals populaires, défilés de véhicules militaires d'époque, rassemblements de bateaux… L'occasion de renouer avec leur histoire ? « Certes, admet Philippe Chapron, mais avec le récit historique qu'on leur sert. » Ajoutant : « Il est temps qu'une bonne fois pour toutes, l'Histoire soit confiée aux historiens et non aux politiques. »
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Mais pourquoi ne sont-ils pas venus en 1940 mais en 1944 ? Non pour vaincre l’Allemagne mais pour contrer l’avance des russes qui sont arrivés les premiers à Berlin. La France a été libérée accessoirement au passage.