Affaire Benalla, suite sans fin ? À croire qu’Alexandre soit devenu à Emmanuel ce que Jiminy Cricket était à Pinocchio : une sorte de mauvaise conscience. En politique, cette dernière passe sur la colonne des frais généraux et, généralement, croupit sous les tapis. Ceux qui ont servi et ne servent plus, on les oublie. Mais Alexandre Benalla n’est pas fait de ce bois-là. D’où le choc culturel l’opposant à un autre garnement, Emmanuel Macron, affrontement dont la presse ne finit plus de faire ses choux gras.

Alexandre Benalla est un gosse des cités, au contraire d’un Emmanuel Macron qui aurait plutôt eu tendance à faire son nid dans le monde de l’île de la Cité. Banlieue et province ; ils étaient pourtant programmés pour s’entendre contre la capitale, se tenant l’un l’autre par un de ces pactes tacites aussi vieux que celui ayant jadis lié Vidocq et Napoléon. L’un maîtrise les rites de la France du haut tandis que l’autre demeure poisson dans l’eau dans les codes de celle du bas.

Cette cordiale entente est désormais rompue avec la polémique lancée par Le Monde, journal ne pouvant finalement, de par son ADN, que mépriser les deux arrivistes en question. D’où la polémique relative au voyage d’Alexandre Benalla au Tchad, à l’occasion duquel, en compagnie des derniers fleurons de l’industrie française, il a rencontré le président local, Idriss Déby. Et c’est là que tout se gâte et que personne ne sait plus tenir son rang.

Ainsi, l’Élysée croit opportun de signifier que l’ancien garde du corps présidentiel ne saurait, en aucun cas, se prévaloir de la qualité "d’intermédiaire officieux ou officiel". Communiqué auquel l’incriminé répond en ces termes : "Je suis particulièrement choqué et scandalisé par les propos irresponsables tenus par l’Élysée, sous-entendant que j’aurais, dans le cadre de mes déplacements en Afrique, pu me prévaloir d’une fonction, d’un titre, ou d’un démarchage professionnel." Et le même de porter plainte pour "diffamation". Mais où est la diffamation en question ? Nulle part, s’agissant plutôt d’une sorte de trahison venue du proche entourage présidentiel ; ce qui est autrement plus fâcheux.

En effet, pour ce genre de voyages « d’affaires », ceux qui portent la parole française, « officieux » ou « officiels », ne manquent jamais d’en rendre compte au pouvoir en place, que ce soit avant, pendant ou après. C’est la règle tacite, tant il est vrai qu’on ne va pas rencontrer un président tchadien comme on va acheter un pack de bières chez l’Arabe du coin. Ce, d’autant plus qu’il s’agit là de possibles contrats visant à installer au Tchad des usines susceptibles d’y créer au moins trois mille emplois. Malgré les opérateurs privés, voilà qui demeure encore, même si vrai de moins en moins, dossier d’État.

Très logiquement, et devant ce lâchage en bonne et due forme, Alexandre Benalla paraît se sentir libéré des serments qu’il aurait autrefois pu prêter : "Je ne me tairai plus", affirme-t-il. Et d’ajouter, à en croire BFM TV : "Certaines personnes, au plus haut de l’Élysée, souhaitent me faire taire ou me neutraliser." Dans la foulée, cet Alexandre aurait longuement rencontré, à Londres, un autre Alexandre - Djouhri, celui-là, à l’occasion d’autres réunions concernant d’autres affaires. Mêmes prénoms, francisés – ce qui devrait, en même temps, réjouir les adeptes de l’assimilation républicaine (Zemmour) et de l’identité heureuse (Juppé) –, et ayant suivi à peu près le même parcours ; Djouhri ayant globalement été à Dominique de Villepin et à Nicolas Sarkozy ce que fut Benalla à Emmanuel Macron. Ces deux laquais ont, aujourd’hui, ce trait de commun : celui d’avoir été congédiés. Comme quoi la lutte des classes, on n’en sort jamais vraiment.

En attendant, on dira que c’est la revanche de Scapin, du serviteur roué contre le maître benêt. Pour qui veut faire de la politique, on ne perd jamais son temps à lire et relire Molière.

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27 décembre 2018 à 20:43

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