Barbey d’Aurevilly au bac de français : un dandy dans l’épreuve

Pas sûr que les bacheliers aient tout compris, mais qu’importe : merci à l’Éducation nationale de ce choix !
© CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris
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« Dans l’opinion de tout le pays, c’était un passage redoutable… » La description de la lande de Lessay, « désert normand » entre Saint-Sauveur-le-Vicomte et Coutances, voilà ce qu’ont eu les bacheliers de première, en commentaire de texte. Un extrait du premier chapitre de L’Ensorcelée, roman de Barbey d’Aurevilly paru en 1854.

Dandy et monarchiste

Qu’avaient-ils eu à commenter, les années passées ? Du Nouveau Roman, froid et distancié (Georges Perec, Les Choses). Du Diderot, sur le peintre Hubert Robert. Du Sylvie Germain, auteur contemporain - avec les pitoyables réactions illettrées de bacheliers mécontents. Tout cela était varié, mais qui aurait parié sur Barbey d’Aurevilly, par bien des aspects trop aristocratique pour une Éducation nationale dépourvue de grandeur d’âme ?

On réduit souvent Jules Barbey d’Aurevilly (1808-1889) au dandysme. Il l’était, pas tant dans l’habillement que dans l’attitude intellectuelle qui consiste à faire sentir à la société qu’on en méprise la médiocrité. D’abord républicain par réaction contre sa famille, la lecture de Joseph de Maistre vers ses trente ans le pousse vers le monarchisme. Une doctrine qui donne tout son sens à ses souvenirs de jeunesse, celle d’une famille de petite noblesse terrienne normande restée fidèle à l’Ancien Régime. Bien des personnages et des paysages de Barbey proviennent de cette enfance. Et plus que tout, une atmosphère dont celle de la lande de Lessay, entre brigands et revenants, est un aspect. Le texte se conclut sur le refus du naturalisme littéraire à la Zola et du positivisme du siècle : « L’imagination continuera d’être, d’ici longtemps, la plus puissante réalité qu’il y ait dans la vie des hommes. »

Un romancier du vice et de la vertu

Outre L’Ensorcelée, Barbey d’Aurevilly est l’auteur de Une vieille maîtresse, Un prêtre marié, Le Chevalier Destouches - soit la passion invétérée, la lutte entre catholicisme et athéisme, et la chouannerie, lutte parallèle… Derrière le romancier, un nouvelliste hors pair : qui ne connaît Les Diaboliques ? Tous ces titres claquent et leur contenu aussi. Barbey est le créateur de personnages qu’on n’oublie pas : Jean Sombreval, le prêtre défroqué ; Hauteclaire Stassin, l’escrimeuse héroïne du Bonheur dans le crime (une des nouvelles des Diaboliques), figure de femme libre jusqu’à l’audace, inégalée ; et ce trio unique : Ryno de Marigny et la Vellini, sa vieille maîtresse, face à sa femme, la digne et forte Hermangarde de Polastron…

En tant que conteur, Barbey n’entend pas se passer du formidable sujet que constituent le Mal et ses formes diverses, du péché le plus simple à la perversité. Comme catholique, il estime que la littérature n’a pas à occulter le problème central du Mal. Il a en horreur la pieuse littérature XIXe, le style châtré et l’inspiration bien-pensante. Un critique catholique oublié, Pontmartin, écrivit que Barbey pensait « comme M. de Maistre » et écrivait « comme le marquis de Sade ». C’était aller trop loin dans la distinction entre fond et forme - et ne pas connaître Sade. On chercherait en vain une cochonceté dans Barbey. Et chez lui, le vice ne prétend pas à la normalité.

« Jules ta niqué mon bac »

Barbey a été un féroce pourfendeur de la société bourgeoise issue de la Révolution. Dans la veine pamphlétaire, Les Quarante Médaillons de l’Académie sont un incontournable. Les Ridicules du temps n’épargne pas le monde du journalisme auquel il appartenait tout en en vomissant la médiocrité et l’esprit de combine. L’égalitarisme républicain répugnait à ce chantre de l’héroïsme. Le positivisme voltairien, tout autant, à lui qui mettait l’Art et la Foi au sommet de son panthéon.

En lisant Barbey, on mesure combien nos écrivains du XIXe siècle étaient en pleine possession de leur syntaxe et de leur vocabulaire. Loin de notre littérature actuelle, si appauvrie, et loin du niveau scolaire moyen. Six mots étaient expliqués en note dans le sujet du bac de français, dont « lieue » - on ne raconte donc plus aux jeunes générations Le Petit Poucet, avec les bottes de sept lieues ? Sur TikTok, quelques élèves ont fait part de leur désarroi. « À la première lecture, je pensais que Saint-Sauveur-le-Vicomte, c’était un mec. » Ça peut arriver. Surpris : « C’était une vanne, le sujet du commentaire ? » Sans orgueil : « J’ai rien compris au texte. » Sans orthographe : « NTR [nique ta race] Jules ta niqué mon bac. » Quelques-uns ont fait danser Barbey dans une animation, bon, c’est de leur temps. Et cela n’atteint pas Barbey, inexpugnable dans sa tour d’ivoire littéraire.

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Samuel Martin
Journaliste

Vos commentaires

12 commentaires

    • Bon…l’inspirateur, Jaques (de La Fresnay), était, « dans la vraie vie », « tout attaché » pour les touches…

  1. Enfin une épreuve digne de ce nom et tant pis pour les adeptes de la langue appauvrie à l’extrême. Faut lire un peu entre deux « sms « et une virée sur les réseaux sociaux.

  2. Y aurait-il une lueur d’espoir qui brille au bout du tunnel des ténèbres de l’inculture crasse que nos chers , trop chers professeurs , ont patiemment construit depuis la réforme Aubry …?

    • Ne touchez pas à Barbey, il est trop adorable. Un enfer chrétien aux petits oignons. Un romantisme de derrière les fagots. Ce mauvais sujet, sujet du bac, il en aurait ri lui qui jouait off contre tous. C’était un paroissien brûlant, spécialiste des sept péchés capitaux montés en épingle. Un serpent venimeux ne manquant pas une messe avec pour seul poison la littérature.

  3. S’ils découvrent « la » Stassin, l’escrimeuse libre, ce sera une belle chose. Et une analyse simple, dans un style clair, voire lumineux, des passions humaines et de sa Normandie. Une leçon ô combien agréable ! Oui, ils ne savent pas encore, que le seul « prépondérant », en France, c’est le Président…

  4. « … chez [Barbey d’Aurevilly] le vice ne prétend pas à la normalité » – mais il y prétend bel et bien en Occident depuis une cinquantaine d’années.

  5. qu’est ce qu’on va servir du Barbey d’Aurevilly à des gamins qui ne savent même pas ce que veut dire « prépondérant »…….

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