Profitant de l’état de sidération des Français dans le contexte de la crise sanitaire, le gouvernement a décidé de passer en force sur l’avortement en imposant, sans débat national, l’allongement du délai légal de l’IVG de 12 à 14 semaines. Le projet, déjà adopté par 86 députés, le 9 octobre dernier, doit être soumis au Sénat, le 20 janvier prochain. Il passe outre les réticences du Syndicat national des gynécologues obstétriciens et celles de l’Académie de médecine, deux instances majeures en matière d’expertise médicale.

Le sujet, par ses implications humaines, éthiques, mérite débat. Il suffit de se pencher sur le fonctionnement du système qui met en œuvre l’avortement en France. Il suffit de rencontrer les acteurs, les femmes, les personnels de santé.

C’est ce à quoi je me suis attachée en allant au cœur du système, car curieusement, dans la littérature scientifique, seule l’évaluation des traumatismes liés à la grossesse et l’accouchement fait, en France, l'objet d’études cliniques. Pas l’IVG. Ma démarche a donc été une démarche d’ordre empirique. Je suis allée au cœur du système, à la rencontre de tous ceux qui sont, de près ou de loin, concernés par l'IVG.

J’ai souhaité notamment, au cours de mon enquête, écouter en profondeur les personnes directement concernées par l’avortement – femmes et équipes médicales et sociales -, saisir la réalité de leur pratique et de leur parcours, comprendre leurs difficultés. J’ai essayé, devant l’échantillon par essence limité de personnes à rencontrer, d’aller plus en profondeur pour décrire la réalité de l’avortement « au quotidien », non pas sur le plan des techniques médicales, mais du vécu personnel, du parcours de chacun quelle que soit sa fonction.

Or, que nous disent ces personnes ?

La confrontation au système qui met en œuvre l'IVG est décapante. Humainement, de grandes blessures affleurent, au-delà du blindage. Ce qu’on peut déduire de tous les témoignages recueillis est que le retentissement psycho-traumatique de l’avortement est une réalité vécue, y compris chez les soignants, et qu’il n’est pas entendu.

Chez les femmes, ce traumatisme est le plus marquant et s’exprime en termes de dépression, de perte de sommeil et d’appétit, de douleurs physiques et somatiques multiples, jusqu’à des comportements de déréalisation et de violence exercée, contre soi ou contre autrui. Le plus souvent, ces femmes sont seules face à leur détresse. Ayant avorté, elles se sentent souvent coupables et ne peuvent sortir de cet enfermement psychologique.

La seule réponse apportée par les psychiatres est médicamenteuse, c’est la réponse la plus facile pour s’épargner la moindre réflexion d’ordre humain ou éthique.

De leur côté, les travailleurs sociaux souhaitent qu’on entende leur difficulté à gérer les demandes d’avortement dans le système tel qu’il est mis en place, qui dénie toute utilité à l’écoute et à la réflexion. Ils vivent, pour certains, avec beaucoup de violence le silence de la loi sur les situations de pression qu’ils sont obligés de cautionner.

Quant aux médecins, ils sont peut-être les plus virulents sur ce sujet, tant ils ressentent le malaise lié à l’exercice de leur pratique. Il faut entendre la souffrance du médecin isolé dans sa pratique, et qui se blinde au maximum, et ce, au-delà même du discours de neutralité qu’il tient pour justifier son rôle d'acteur du « service public ».

Alors, face à tant de souffrances interdites, on ne peut qu’interpeller le gouvernement : que sert exactement la course effrénée vers le tout avortement ? Pourquoi imposer un tel projet sans tenir compte des avis éclairés et de ce que disent les professionnels de santé ?

Ce n’est pourtant qu’à partir d’un constat lucide de la réalité que nous serons en mesure de transformer l’action politique pour la mettre véritablement au service de la dignité des personnes.

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19 janvier 2021 à 8:57

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