« L’État est l’unité politique historique qui a réussi à supprimer l’ennemi à l’intérieur de son ressort pour le rejeter à l’extérieur », écrivait Julien Freund en analysant ce qui était, pour lui, l’un des présupposés du domaine politique, le couple « ami-ennemi ». Il ajoutait une remarque qui devrait aujourd’hui nous mettre en garde : « Quelle que soit l’unité politique, toutes tendent à éliminer l’ennemi intérieur pour faire régner la concorde civile [...] Une collectivité politique qui ne parvient pas à dominer l’inimitié intérieure […] s’installe dans le désordre et l’anarchie […] et par conséquent n’est plus en mesure de remplir une des fonctions capitales de tout État, à savoir la protection et la sécurité de ses membres. »

Deux corollaires s’ensuivent : d’abord, un État qui veut perdurer doit demeurer capable de désigner ses ennemis et de les combattre. Ensuite, la possibilité d’un monde délivré de la politique fondée sur la distinction de l’ami et de l’ennemi est une utopie. Le pacifisme a inévitablement conduit à la guerre.

La civilisation chrétienne n’a survécu qu’en résistant à l’islam par la guerre en Espagne, à Lépante et devant Vienne. Le Christ offre l’exemple d’une morale sublime, mais laisse à César la conduite de la politique nécessaire. C’est pourquoi les rêveries kantiennes d’une « paix perpétuelle » dont Fukuyama a cru entrevoir la réalisation lors de la chute de l’URSS, avec la généralisation des États démocratiques comme fin de l’Histoire, demeurent aussi vaines que belles.

L’idée d’un gouvernement mondial s’est substituée à l’universalisme des démocraties confondues de plus en plus avec les « États de droit ». L’unité politique du monde s’est réduite à celle du monde occidental centrée sur les États-Unis et leurs alliés proches, priés d’ouvrir leurs frontières et de converger vers le même monde consumériste et hédoniste. En découlent à la fois une grande hostilité à l’encontre des États suffisamment grands pour résister et sauvegarder leur identité, comme la Russie, et une certaine latitude accordée aux puissances trop différentes comme la Chine ou l’islam dont on pense, aujourd’hui, que la démocratie à l’occidentale y est impossible. Peu à peu émerge une sorte de démocratie sans le peuple, avec le remplacement de la volonté populaire par la prévalence de la norme : c’est l’État de droit qui impose, notamment, aux peuples de se soumettre à des règles tombées d’un ciel non religieux mais juridique et leur interdisant de lutter efficacement contre leur propre disparition.

Le commissaire ou le juge remplacent le gouvernant et contrôlent les évolutions économique et juridique au sein d’organismes surplombant les gouvernements de l’ONU à l’Europe, celle de l’Union européenne comme celle de la CEDH, en passant par le FMI, l’OMS, etc. Une superstructure mondiale caractérisée par une caste où se mêlent la technocratie et la finance, relayée par les « États profonds » des nations, va broyer menu les vieilles nations pour les réduire en une masse indistincte de travailleurs et de consommateurs nomades et interchangeables.

L’Europe est évidemment le cœur de cible. Sa population est vieillissante. C’est ainsi qu’une sénatrice française, par ailleurs turque et israélienne, Esther Benbassa, a pu oser : « La France a besoin des migrants pour renouveler sa population […] C’est à ça que sert l’immigration. » Est-il logique qu’une personne ait plusieurs nationalités ? Comment parler encore de la nation comme unité politique capable d’exprimer la volonté générale lorsqu’une partie de ses membres font aussi allégeance à un autre État, y compris quand un conflit avec celui-ci est possible ? Doit-on permettre à celui qui est aussi ressortissant d’un autre État d’accéder au pouvoir du nôtre, d’y faire les lois, d’en diriger l’exécutif ? L’évolution du droit y conduit sans qu’on ait interrogé les peuples.

La croissance d’une population séparatiste dans un pays est évidemment une menace mortelle pour lui. On voit bien, désormais, que la France fait face à deux ennemis intérieurs : le premier, en haut, par idéologie, veut gommer l’identité nationale et les frontières qui la protègent en prétendant que la France a une vocation universelle ; le second, en bas, modifie sourdement et localement les modes de vie, change les comportements, pèse sur les votes, génère des élus communautaires plus que nationaux, fissure la conscience collective, notamment à travers l’aliénation de son Histoire.

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19 janvier 2021 à 11:44

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