Après la mort de Jean d’Ormesson, le temps de « juger son œuvre » ?
Du vivant d'une personnalité illustre et à peu près célébrée par tous, on a le droit de dire ce qu'on pense d'elle. On a le devoir, entre ombres et lumières, de faire le tri, de formuler des réserves ou de s'enthousiasmer comme on l'entend sans suivre forcément l'opinion commune. On a peut-être tort mais peu importe. Je ne renie aucun de mes billets à son sujet mais quelle acidité infinitésimale dans un océan de gloire et d'intelligence, quand il était là, présent, disponible, heureux sur tous les fronts !
Ainsi il n'était pas immortel !
Comme il l'a si lucidement déclaré un jour à Frédéric Beigbeder, "à sa mort on pourra juger son œuvre" parce qu'elle sera en quelque sorte débarrassée de son auteur. J'aime qu'il ait toujours eu cette assurance sans morgue, cette ironie tendre et spirituelle sur les choses de la vie, sur les privilèges de sa classe, sur les grandeurs et les ridicules de cette aristocratie qui lui allait si bien, si mal… Il me semble qu'il ne surestimait pas ses livres - ce qui est le meilleur moyen pour en sauver de l'oubli ou de l'indifférence - mais portait au plus haut la littérature dont il est toujours parvenu à nous démontrer qu'elle était une merveilleuse grille de lecture du monde, à toutes les époques et sous toutes ses facettes.
Partisan mais tolérant, jamais coupable de sérieux mais ayant le sens du tragique, caustique mais aimable, léger mais profond, omniprésent mais pudique, volubile sur soi mais empli d'estime et d'admiration sincères pour ceux qui le dépassaient, agaçant peut-être mais incroyablement divers, curieux, vif - j'ose aujourd'hui cet adjectif -, admis partout, à l'aise avec tous, accordé à tous les milieux parce que n'ayant de mépris pour personne, il étincelait, éblouissait, rayonnait et gardait pour lui les démons que son extrême intelligence et sa sensibilité ne devaient pas manquer de faire surgir dans ses tréfonds. Doué pour le bonheur certes mais n'ignorant pas, j'en suis sûr, à partir de lui, que la condition humaine était, selon sa belle expression, "une fête en larmes", drôle à pleurer.
Jean d'Ormesson a eu une existence tellement intense, riche, immense, désinvolte et grave, si éclatante et en définitive si respectée qu'on pourrait souhaiter, pour rendre hommage à ce qu'elle a été, à ce qu'il fut, par contraste, le silence, le recueillement, la simple mémoire nue.
C'est déjà l'inverse. Evidemment.
Dans toutes les émotions, ce saisissement : ainsi Jean d'Ormesson n'était pas immortel…
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