Afrique : l’impératif catégorique, une méthode de gouvernance autoritariste qui progresse
Une conférence en ligne est organisée, ce 15 juin, par le Forum africain des transports, sur le thème « Intelligent transport system : l’innovation, un virage incontournable en Afrique ». Elle est co-sponsorisée par Proparco, institution financière de développement française, filiale dédiée au secteur privé de l’Agence française de développement (AFD). L’annonce commence par : « L’impératif catégorique qu’impose le binôme numérique et technologie à toutes les activités économiques a sonné le glas des pratiques traditionnelles, vétustes et dépassées. »
Le début de la présentation : « L’impératif catégorique qu’impose … » est typique du néoparler orwellien d’une gauche institutionnelle bien-pensante, qui s’impose par argument d’autorité dans tous les domaines. En effet, cette introduction interdit toute remise en cause de l’allégation qui suit, verrouillée par une clé assertive sans argument. Le débat est clos avant même d’avoir commencé sur un thème fermé, sur une problématique qui ne va pourtant pas de soi, mais dont on comprend qu’il serait déplacé de la questionner ou de la reformuler.
Ainsi, le binôme « numérique et technologie » imposerait un « impératif catégorique ». Cette expression nous vient du prussien Emmanuel Kant (1724-1804), dont la philosophie morale est empreinte de pureté d’intention sans liberté d’application. On connaît les impasses pratiques de ses principes rigides dont seules comptent les motivations, quelles qu’en soient les conséquences, comme celle qui consiste à ne jamais mentir, quitte à mettre la vie d’autrui en danger. Ils ont inspiré très tôt de vives critiques comme celle de Benjamin Constant (1767-1830) lui reprochant ne pas prendre en compte le contexte ni les actes qui en découlent. Ils ont inspiré à Charles Péguy (1873-1914), dans ses Pensées, la formule : « Le kantisme a les mains pures, mais il n’a pas de mains. »
Ici, on comprend que c’est le numérique et la technologie qui imposeraient ou constitueraient un impératif catégorique à toutes les activités économiques. Or, en Afrique, où l’on parle sans fin de numérisation et d’information par leurs contenants plutôt que par leurs contenus et leur usage, c’est le facteur humain qui est la clé des problèmes, ainsi que des solutions.
« Le glas des pratiques traditionnelles, vétustes et dépassées ? » Quel technocrate hors-sol peut avoir un tel mépris pour des populations pétries de traditions locales qui assurent encore une fragile stabilité sociale dans des pays gangrenés par le népotisme et la corruption, faute de conditionnalité ni de contrôle exigés par leurs partenaires étrangers ? Quel fonctionnaire déraciné peut avoir l’arrogance de juger ces traditions « vétustes et dépassées », la prétention de dicter par quelles technologies superflues, voire nocives, il prévoit de les remplacer ?
On aurait tort de voir dans cette analyse de texte une argutie prétexte à une critique facile. Ou de sous-estimer l’importance de ces subtilités de langage, tant celui du communicant omniprésent est choisi avec minutie, sans hasard ni innocence mais avec idéologie. Autrement dit, tant le diable se cache dans les détails. Aucune formulation n’est innocente, ni exempte d’intentions sous-jacentes. C’est bien par cette méthode autoritaire de gouvernance, par des clés qui ferment toute pensée pour museler la parole, que la technocratie mondiale prétend imposer ses délires de bien-pensance et ses désirs de puissance, pour sonner le glas des cultures locales.
C’est ainsi qu’en France et ailleurs, si l’on n’y résiste pas, s’insinuent sournoisement des influences méphitiques et des pratiques tyranniques travesties en progrès. Il est temps que la société civile rappelle ses dirigeants défaillants à leurs devoirs, reprenne le contrôle légitime d’un système prédateur. Car le progressisme idéologique prétend avoir les mains pures, mais il n’a pas de mains.
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17 commentaires
Jean-Michel Lavoizard a raison, ce mal touche aussi la France. Il y a 2 ans, en Nouvelle-Calédonie, je dirigeais la maintenance du matériel d’une mine de nickel. Et victime de la doxa, il m’arrivait d’avoir plus d’effectifs devant un ordinateur que dans les ateliers. Mais la benne d’un camion de 100 t (de charge utile) ne se répare pas avec de la wifi ou un i phone…
Excellent article. Au Sénégal, ce n’est pas un problème d’informatique qui a fait couler le Joola (pire naufrage que le Titanic). Ce n’est pas la faute du numérique si en 2006 l’aviation civile africaine représentait 3% du trafic mondial et 30% des accidents. Et sur la route de Segou au Mali il y a quelques mois, l’informatique n’aurait pas éviter le choc entre un autocar et un camion (37 morts). Comme partout, il ne faut pas déroger aux règles de maintenance des matériels et à la sécurité.
« Le débat est clos avant même d’avoir commencé » C’est devenu l’archétype politique dans la plupart des pays, et triomphe en France et en Europe.
Et dire si l’on écoutait les décadant du wokisme que les pires était les coloniaux blanc. Est mieux avec les coloniaux noirs ? Cette époque est en pleine décadence de la civilistio oxccidental. Tous ces pseudos dirigeants et leurs émules les associations mondiale nous emmènent tout droit à fin de la civilistion. Ils feraient bien de méditer sur la fin des cultures et des civilistaions qui nous ont précédée.
Il y a Tradition et Tradition !
Celles qui poussent vers le Haut, par l’agrégation des Savoirs, et celles qui en restent au Tribalisme.
C’est à ce titre que l’Afrique reste un continent fragile, cible facile « Russo-Chinoise », alors que l’Europe, et surtout la France, ont tant donné !
Suite 2 et fin : remplacer la gomme et le crayon (mais avec aux commandes une personne bien formée, la gomme et le crayon peuvent encore faire des merveilles). Bien sûr, il faut utiliser les nouvelles technologies, tout en n’oubliant pas qu’elles ne peuvent pas remplacer le bon sens paysan, et qu’un parcours à pied et le contact avec les habitants du coin, même les plus miséreux, est indispensable. »
Et ne pas mettre la charrue avant les bœufs car où brancher l’ordinateur quand comme à Madagascar et dans d’autres pays, seuls 17% des territoires sont électrifiés.
Suite 1 : « Ce qu’il faut pour l’Afrique, ce sont des transports organisés façon France (et pays européens bien sûr, la France n’ayant pas le monopole d’une bonne organisation) des années 60-70, ce type d’organisation ayant fait merveille, non seulement en France, mais aussi à Abidjan où la SOTRA passait pour un remarquable exemple avec sa flotte de Renault S 105. Alors bien sûr, l’ordinateur peut remplacer
Merci pour votre article. Professionnel du transport, j’avais zappé ce webinaire à cause du qualificatif « intelligent » qui, comme « gender » ou « genre » m’énervent au plus haut point. Je vais y participer car au passage ce que fait la SSATP est toujours très intéressant. Voila le commentaire que je me propose de laisser sur le chat (suite à venir)
pour ceux qui veulent connaître et comprendre la philosophie morale kantienne je conseille le livre « kant aujourd’hui » d’alain renaut. la morale kantienne est bien loin de l’image que l’on donne d’elle, et elle mérite d’être redéouverte
Merci, je vais lire car nous allons avoir du temps pour réfléchir aux sujets de fond… 5 ans (ou peut être moins ?). Mais il faut aussi sans cesse relire Aristote (par ex.: La grande morale, trop peu connue) qui rend inutile ou parfois redondants, ou nocifs 90% des philosophes modernes. …
L’impératif catégorique de Kant oui je connais bien; la gauche n’a pas peur en s’inspirant de ce philosophe ….Dictature …..
Ca ne vous rappelle pas Mitterand voulant subordonner le versement de nos sous en Afrique à la pratique d’une démocratie parlementaire ? Toujours l’idée de Jaurès. Travailler dans l’illusoire est la meilleure façon de ne pas pouvoir être entendu .
Il n’y a pas qu’en Afrique que la gauche parle de traditions « vétustes et dépassées ». Les gauchistes français ne traitent-ils pas de ringardes les valeurs du siècle dernier? Ne nous traitent-ils pas de réac parce que nous défendons ces valeurs face au progressisme démesuré qu’ils veulent instaurer dans le pays ? Et que fait-on ? On baisse les bras, on subit, hélas.
La vérité est les penseurs d’un bon niveau sont très rares (et courageux car attaqués): et en face on a soit de très médiocres gauchistes (et donc très nombreux) soit des mondains blasés qui déjeunent à la Coupole avant d’aller digérer sur LCI. Le drame c’est l’édition française, qui fait les notoriétés…rarement méritées.
Ce blalabla rappelle aussi Sarkozy »: »l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire […]. Jamais il ne s’élance vers l’avenir » (Discours de Dakar). Et il y a sans doute aussi une critique du »secteur informel » qui fait vivre la moitié de la population.
Merci M.Lavoizard pour votre remarquable réaction à ce galimatias doctrinaire. Et au passage, pour éreinter à juste titre l’abstruse »philosophie’ allemande qui nous a mené au cancel-wokisme, via Heidegger (nazi), Sartre (stalinien), Derrida. Africaniste moi aussi j’adhère à votre respect des traditions africaines. L’Afrique élimine spontanément certaines pratiques détestables mais c’est à elle d’en juger : pas aux stagiaires de proparco.