Quel personnage, que ce Zog Ier d’Albanie, né Ahmet Zogu le 8 octobre 1895, dans une puissante famille musulmane ! Combattant pendant les guerres balkaniques (1912-1913), il prend part à la Première Guerre mondiale aux côtés des Austro-Hongrois et profite de l’occasion pour s’accaparer les territoires qu’il a conquis. Pour se débarrasser d’Ahmet Zogu (son vrai nom), les Austro-Hongrois l’envoient à Vienne en lui offrant une belle promotion : le grade de colonel. À la fin du conflit, Ahmet Zogu est arrêté, emprisonné puis envoyé à Rome. Quand il revient en 1919 en Albanie, ce pays est une monarchie sans gouvernance. En effet, le prince Guillaume de Wied (1876-1945), surnommé Vidi, a perdu son trône deux fois. La première fois en quittant son pays en septembre 1914, la seconde fois en raison de son exil définitif parce que la conférence de la paix (1919) refuse de remettre un Allemand sur le trône albanais.

C’est un Haut-Conseil de régence qui assure la direction du pays. Mais l’ambition de ce fils d’un chef de clan est débordante. Il est, comme beaucoup d’hommes en vue, un cumulard. Nommé gouverneur de la province de Shkodër à seulement 20 ans, il devient, peu de temps après, ministre de l’Intérieur. C’est une belle récompense après qu’il a maté une rébellion qui devait faire accéder son oncle au trône. Cet oncle, Essad Pacha Toptani (1863-1920), ancien Premier ministre et nommé roi d’Albanie en exil, finit, le 3 juin 1916 à Paris, sous les balles d’un « conquérant imberbe », Avni Rustemi (1), qui ne le voulait pas comme roi !

En 1922, Ahmet Zogu est promu général et devient chef d’état-major des armées albanaises. Le 26 décembre de la même année, il devient Premier ministre, tout en conservant ses fonctions précédentes. Un attentat contre sa personne et un scandale financier le forcent à rendre son portefeuille de Premier ministre en février 1924. Quelques semaines plus tard, Ahmet Zogu fait assassiner Avni Rustemi, devenu député, ce qui le contraint à s’exiler en Yougoslavie. À la faveur d’un coup d’État réussi en décembre 1924, le futur roi revient dans son pays natal, proclame la république, se fait élire président pour sept ans, tout en cumulant cette fonction avec celle de Premier ministre.

À la faveur d’un changement de Constitution, Ahmet Zogu est proclamé, le 1er septembre 1928, roi d’Albanie. Il prend le nom de Zog Ier, le patronyme Ahmet Zogu faisant à son goût « trop musulman ». Il peut entreprendre les réformes qu’il souhaite pour son pays. Ainsi les partis sont interdits, la censure est instaurée. Il met fin à la féodalité, au servage et au port du voile ; il dote le pays de nombreux codes (civil, pénal, commercial…) ; il instaure le suffrage universel, crée la Banque nationale d’Albanie, ancre l’égalité devant l’impôt et fait naître et germer l’idée de nation albanaise. Reste que le jeune Napoléon de l’Adriatique n’est guère apprécié et sait ce qu’il doit à l’Italie mussolinienne. Il échappe de justesse à un attentat à Vienne en 1931 et commence à se replier sur lui-même, tout en développant son style de « despote éclairé ». Le 31 décembre 1937, alors qu’il fait donner le traditionnel bal de la Saint-Sylvestre à Tirana, Zog Ier (2) rencontre la comtesse Géraldine Apponyi de Nagy Appony (1915-2002). C’est le coup de foudre réciproque. Ils se marient le 27 avril 1938. Mais la guerre de 1939-1945 emporte tout sur son passage. Contraint à l’abdication et l’exil, le couple royal erre entre Grèce, Turquie, Roumanie, Pologne, Estonie, Suède, Norvège et France. Il arrive à Londres en 1940 et part en Égypte. Il revient en France en 1952, où Zog Ier s’éteint le 9 avril 1961. Enterré au cimetière de Thiais, l’ancien roi retrouve le sol albanais en novembre 2012, pour le centième anniversaire de l’indépendance du pays.

1 Acquitté le 2 décembre 1920, Rustemi repart en Albanie, où il est élu député de l’opposition.
2 Il aurait inspiré Tintin pour le personnage du roi Muskar XII, dans Le Sceptre d’Ottokar.

3246 vues

31 août 2018 à 23:15

La possibilité d'ajouter de nouveaux commentaires a été désactivée.