Régulièrement, le tribunal médiatique envoie sur la sellette de grandes entreprises "harceleuses" comme France Telecom, EDF-GDF-Suez, la FNAC, Renault, etc., accusées de pousser parfois leurs salariés à de fatales extrémités. En octobre, Le Figaro titrait encore "Vague de suicides alarmante à La Poste". Le dernier marronnier de cette plantation est "les jeunes blouses blanches en milieu hospitalier"". Selon quatre (!) de leurs syndicats, une enquête révélerait chez eux deux tiers d'anxieux, 28 % de dépressifs et 6 % ayant eu des idées suicidaires dans le mois précédant l'enquête. Laquelle précise que l'immense majorité travaille trop et ne se repose pas assez. "Un quart seulement disent ne pas dépasser le plafond légal de 48 heures hebdomadaires. Et un tiers effectue plus de 60 heures !" Pour la présidente d'un ces syndicats, "nous sommes une population à risques, car les conditions de travail sont difficiles. Mais la situation s'est détériorée pour des raisons financières."

Classique : qui a jamais vu une administration déclarer qu'elle ne manquait pas de moyens ? S'y ajoutent les demandes rituelles comme "plus de considération" ou des "formations des futurs médecins au management, à une sensibilisation aux risques psycho-sociaux, à l'instauration de temps d'échange dans le service et à la valorisation des activités extra-universitaires pour s'épanouir en dehors de la vie professionnelle" (sic). De même "une visite d'aptitude obligatoire et systématique", sans oublier de "renforcer les contrôles et les sanctions en cas de non-respect du temps de travail".

Malgré ma paternelle affection pour ces jeunes collègues, force est de constater que ces jérémiades de syndicalistes du siècle dernier illustrent à quel point les médecins d'aujourd'hui ont intériorisé l'idée qu'ils ne seront jamais que des salariés. D'accord, c'est le statut officiel des internes. Mais ils sont avant tout des étudiants. Ils n'ont que peu d'années pour apprendre vraiment - par compagnonnage - leur cœur de métier. Si on préfère "poser ses RTT" plutôt que supporter les critiques formatrices d'un chef en faisant des journées de 10 ou 12 heures, voire plus, pendant les quatre ans où on est pleine forme, il vaut mieux intégrer l'École nationale supérieure de Sécurité sociale ou l'Inspection générale des Carrières abandonnées…

Observée sur quelques décennies, la médecine française est passée d'activité de seigneurs à profession de prolétaires adaptés et soumis. C'est la médecine génération Mitterrand. (Alors que l'époque est, partout, à la renaissance des indépendants…) Cette normalisation de la médecine (au sens polonais sous Jaruzelski) est voulue depuis longtemps par tous les pouvoirs. Tandis que l'on remplaçait un concours hypersélectif par un examen classant (même celui qui a 0/20 est "interne" : il choisit seulement la spécialité qui reste…), on a fait disparaître les salles de garde des hôpitaux bâtis depuis trente ans.

Au sein des établissements, ces lieux jouissaient d'un privilège d'extraterritorialité équivalent à celui des ambassades, et où les internes pouvaient largement décompresser dans une atmosphère confraternelle et ludique, hors du regard de Big Brother. Ce temps est fini. Place aux anxiolytiques et aux antidépresseurs…

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17 juin 2017 à 19:47

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