Quand j’étais gamin, Paris Match ou Point de vue, images du monde nous permettaient de rêver sur l’Iran du chah. Un Iran sans doute un peu fantasmé, certes. En 1971, les fêtes de Persépolis, sorte de millénaire capétien à l’orientale, furent grandioses : uniformes chamarrés des diplomates et militaires constellés d’ordres improbables, costumes traditionnels perses, carrosses et tout le toutim. Rien à voir avec du Jean-Paul Goude. Pahlavi rappelait au monde, notamment à l’Occident, que le Perse bâtissait déjà des palais quand, par exemple en Germanie, on passait la vie enfumé au fond d’une cahute. Et puis, il y avait l’impératrice, la chahbanou Farah Diba. Comment vous dire ? Tout simplement impériale.

Bon, les esprits chagrins diront que le peuple était très malheureux et que ça torturait à tour de bras dans les locaux de la SAVAK. Et puis, par bonheur, grâce à Dieu et un peu à Giscard, enfin Khomeini vint. Et les femmes de Téhéran et d’ailleurs, en Iran, furent priées illico presto d’arrêter de se prendre pour des chahbanous de quartier et de vite se couvrir de la tête au pied.

Farah Diba a, aujourd’hui, 80 ans mais dans cet Orient compliqué, il est une reine qui n’a pas encore 50 ans et qui damnerait un couvent de pères franciscains, rien qu'à son regard. Le reste, n'en parlons pas. La reine Rania de Jordanie, l’épouse du roi Abdallah. Pourquoi parler d’elle ? Parce que Paris Match - encore lui ! - vient de nous apprendre que celle qui est reine consort du petit royaume hachémite depuis maintenant vingt ans a fait la une du Harper’s Bazaar Arabia, la version pour le monde arabe du célèbre et très ancien magazine féminin américain fondé en 1867 (Marie Claire, fondée en 1937, peut aller se rhabiller, si j’ose dire). Et là, encore une fois, comment vous dire ? Waouh, comme dirait la duchesse de Cambridge en apparaissant au balcon, le jour de son mariage, aux côtés de son gentil mari ! Je ne vous ferai pas la réclame du journal et des vingt-quatre magnifiques photos qui retracent ce petit jubilé royal. Mais une chose nous frappe. Outre la beauté à couper le souffle du coureur de Marathon, la reine ne porte pas le voile. Même pas dans son pays. Elle est pourtant musulmane, épouse d’un souverain qui, de par la Constitution, doit être musulman et de parents musulmans et règne sur un pays où l’islam est religion d’État. Les rares photos où l’on voit la reine couverte d’un voile, c’est lorsqu’elle prie à la mosquée ou… lorsqu’elle rend visite au pape !

Justement, en 2007, alors qu’elle était à Rome, voici ce qu’elle avait déclaré : "L’islam n’impose ni d’être pratiquant, ni de s’habiller d’une manière ou d’une autre. Imposer le voile à une femme est donc contraire aux principes de l’islam." D’aucuns diront que Rania est plus à l’aise sur la couverture d'un magazine de mode que penchée sur un bouquin de théologie. Machisme de bazar. On leur rétorquera : qu’en savent-ils ? Elle qui fit de belles études supérieures en sait sans doute autant, sinon plus, que ces imams expliquant "savamment" - comme celui de Brest en 2012 dans un prêche sur le port du hijab - que "si la femme sort sans honneur, qu’elle ne s’étonne pas que les hommes abusent de cette femme-là".

Ce portrait en couverture de la reine Rania, en cheveux, comme on disait autrefois, fait en tout cas un pendant bien curieux à ces femmes musulmanes qui, en France, arborent ostensiblement leur hijab devant le président de la République et font pleurer sur leur sort devant les caméras. C'est là qu'on se dit qu'on marche peut-être un peu sur la tête dans cet Occident, non pas compliqué, mais complexé. Les petites filles rêvent d'être des princesses, dit-on. Pas des fantômes. La reine Rania fait rêver, et pas que les petites filles...

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02 mars 2019 à 21:24

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