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Effondrement de l'école, illettrisme, obscurantisme, fanatisme, complotisme, conspirationnisme, le dernier livre de Dimitri Casali décrit une réalité à faire froid dans le dos. Il n’y a pas de hasard dans l’Histoire, rappelle l’accroche de la couverture. Voici un nouvel extrait de cet ouvrage que la rédaction de Boulevard Voltaire tenait à partager avec vous.

"L’ignorance est mère de tous les maux" (François Rabelais).

L’ignorance ou le manque de connaissances est d’abord une affaire de survie. En effet, l’homme ne peut compter sur son seul instinct pour survivre comme les autres animaux. Il est obligé d’emmagasiner des informations et de les transmettre, car il serait impossible pour l’espèce de survivre si chaque génération devait à chaque fois réapprendre les acquis de la précédente. L’humanité est ainsi obligée d’enregistrer ses connaissances. C’est ainsi qu’on accorde une grande importance aux supports sur lesquels elles sont conservées (aujourd’hui, tous les travaux scientifiques sont numérisés et archivés de manière ultra-sécurisée) car, aussi improbable que cela puisse paraître, il suffirait d’une guerre mondiale ou de quelques années de chaos à l’échelle de la planète pour que ces connaissances soient perdues.

La connaissance est donc largement valorisée par la société de façon pragmatique. Au lycée, depuis maintenant quarante ans, les filières scientifiques sont mises largement en avant comme un vivier pour les meilleurs élèves, au détriment des lettres et des sciences humaines. La culture générale est de moins en moins considérée pour mieux valoriser les compétences et autres techniques pratiques. Cette approche est la plus évidente, celle que tout le monde peut comprendre. En cas de tempête sur une pirogue, le Papou qui a une connaissance des vents parviendra à regagner le rivage, pendant que « l’énarque » coulera à pic. Le héros grec Ajax, dans l'Iliade, pensait qu’un Dieu lui remuait les jambes, alors qu’il était saisi de peur en voyant approcher l’ennemi. Son ignorance le mettait ainsi en danger de mort, faute de connaître ses propres émotions. C’est ainsi que le sens commun a toujours fait plus de cas des scientifiques en tant que fondateurs de la connaissance que des artistes, doux rêveurs marginaux. Pour une époque imprégnée des valeurs du positivisme, la connaissance technique prime sur les domaines culturels et artistiques. C’est avant tout à la capacité de l’homme à maîtriser son environnement que l’on rend hommage à travers le terme de « culture », celle-ci étant ce qui distingue l’homme de l’animal. Au XVIIIe siècle, le naturaliste Buffon, dans sa prodigieuse Histoire naturelle, rend hommage à cet Homo sapiens doté de raison, à la tête des « sciences naturelles », qui regroupent des domaines qui relèvent aujourd’hui de la physique, la chimie ou la technologie.

C’est précisément en tournant le dos à ces connaissances que nous avons le plus de chances de sombrer dans une ignorance assumée, celle qui est source d’errements et de non-liberté. Car le propre de l’ignorance néfaste est d’être inconsciente d’elle-même, et de considérer comme propre ce qui lui est étranger. Ainsi, l’alcoolique croit vouloir boire et ignore qu’il est dépendant de processus neurologiques. On pourrait dire qu’être ignorant, c’est être soumis à des forces qui nous gouvernent sans nous en rendre compte. Voilà pourquoi l’éducation a toujours été un sujet politique majeur. Nous verrons plus loin que l’école, aujourd’hui, n’enseigne plus des connaissances mais, pour reprendre l’expression du philosophe Jean-Claude Michéa, enseigne de l’ignorance. Elle ne transmet plus des valeurs républicaines d’universalité du savoir, mais a cédé le terrain aux gardes rouges des sciences de l’éducation qui veulent faire une école qui véhicule les valeurs du libéralisme, ses modes, ses pulsions, ses appétits publicitaires. Dans ce lieu de vie, antichambre du monde du travail dérégulé, on prétend fabriquer un individu entièrement « libre », sans passé, sans histoire, sans rien qui l’encombre pour obéir parfaitement aux lois du marché, en somme parfaitement égoïste et ignorant. Un imbécile pas même heureux prêt à servir l’entreprise, consommer puis mourir décérébré, tel le Sisyphe décrit par Camus dans L’Homme révolté, condamné à rouler une pierre le long d’une colline. La transmission du passé est rejetée, tout doit servir à fabriquer un hédoniste décomplexé, abandonné aux sirènes du marketing, le tout aidé par le dressage anthropologique des médias et le cynisme des industries du loisir. Aujourd’hui, seule une minorité d’enfants issus de milieux favorisés reçoit une éducation adéquate, dans des établissements huppés, coûteux îlots « d’antan » (telle la fameuse École alsacienne) en majorité fréquentés par les enfants de ceux-là mêmes qui passent leur temps à dénoncer sur les plateaux de télévision l’absence de mixité sociale mais se battent pour offrir à leur progéniture une éducation à l’ancienne, dont ils dénoncent pourtant en public le caractère déplorable. Auraient-ils peur que leurs chers enfants soient contaminés par la bêtise des autres ? Et pour les autres, pour les 4/5 de la population, destinés à être gouvernables à merci, tout savoir serait dangereux, car il menacerait leur malléabilité. Depuis quarante ans, une certaine élite intellectuelle qualifiée de pédagogiste - de Pierre Bourdieu à Philippe Meirieu - pensent que nous devons nous délivrer de tout ce qui nous précède, de tout ce qui vient avant nous, en un mot de la Culture avec un grand C. Cette hypocrisie et ce cynisme des pédagogistes bien-pensants abandonne ainsi sans aucun scrupule des millions de jeunes sans cerveau ni colonne vertébrale au marketing du présent et à la culture jeune fabriquée de toute pièce par des charlatans.

Dans leur viseur, on trouve ainsi en premier lieu les humanités bourgeoises, survivance à leurs yeux d’un monde fasciste où l’autorité du maître faisait sens. Le professeur n’est plus reconnu comme référent en matière de savoir, mais comme un simple animateur de vie. Sans doute auraient-ils été plus inspirés de lire Bakounine, anarchiste russe qui affirmait : "En matière de chaussures, je m’en remets au cordonnier."

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15 août 2017 à 21:06

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