Le verdict vient de tomber. Vincent Verschuere est abasourdi. Au terme d’une éprouvante bataille judiciaire qui dure depuis dix ans, l’éleveur à Saint-Aubin-en-Bray (Oise) est condamné par la cour d’appel d’Amiens à payer 102.000 euros de dommages et intérêts à des voisins, et remédier dans un délai de trois mois « aux troubles anormaux du voisinage ». La décision de la cour d’appel n’a pas ordonné la démolition des bâtiments mais impose à l’éleveur de « trouver des solutions techniques » pour réduire les nuisances olfactives et sonores dont se sont plaints les riverains.

L’éleveur se désole : « Personne ne comprend cette décision. On nous a refusé un expert judiciaire. Nous l’avons donc fait venir à nos frais. Il a relevé qu’il n’y avait rien d’anormal, ni bruit, ni odeur, ni mouches. Mais cela n’a pas été entendu. Les services de la DDPP [Direction départementale de la protection de la population, NDLR] sont venues maintes et maintes fois sur plaintes des riverains et ont toujours constaté que l’exploitation était tenue correctement, qu’il n’y avait pas la moindre anomalie, mais toutes ces choses-là ont été écartées. On a l’impression d’être jugé d'office à charge. Les nuisances ne sont pas dues à notre fonctionnement mais du fait d’être là simplement. »

Vincent Verschuere compte bien se battre, mais ses marges de manœuvre se réduisent. Il se dit « au pied du mur », ne voyant pas ce qu’il peut proposer comme solution si ce n’est vendre son cheptel et fermer une exploitation qui vit depuis quatre générations. Cette construction litigieuse avait pourtant vu le jour pour répondre aux normes imposées. Inextricable paradoxe. Avec un investissement de 600.000 euros en 2010 et 50 % des travaux réalisés par lui-même, il installe à seulement dix mètres de ses anciens hangars un bâtiment moderne, soucieux de l’environnement et du bien-être animal : salle de traite équipée d’un régulateur électronique pour réduire le bruit, sol en total paillé pour réduire les odeurs, fosse de stockage des eaux de salle de traite sous le bâtiment, bardage bois plus écologique et plus esthétique, et ajourné pour une meilleure ventilation de l’air et confort des animaux…

Dix ans de procédure judiciaire

Mais cette construction se trouve à moins de 100 mètres des premières habitations, par une dérogation préfectorale qu'il obtient à l'époque. Les riverains portent l'affaire en Justice et obtiennent l'annulation du permis de construire en 2013. Mais le chantier était à 70 % terminé, il l'a continué, sûr que le conflit se désamorcerait de lui-même. S'ensuit une bataille judiciaire de dix ans que relate Terres et territoires : « En 2014, la mairie se pourvoit en appel mais le jugement est confirmé. L’affaire va jusqu’en cassation, où le dossier est refusé. Le jugement devient définitif en 2014. » Les riverains demandent ensuite la démolition ainsi que des dommages et intérêts, qu'ils obtiennent en 2018, mais l'éleveur fait appel. Mardi, les juges rendaient cet avis : « Le bâtiment accueillant les bovins [...] dispose d'une façade complète ouverte sur l'extérieur, ce qui ne permet aucune isolation véritable contre la diffusion des odeurs et du bruit », donnant gain de cause aux voisins.

« On a le sang de la terre qui coule dans nos veines »

Une désolation pour celui qui travaille sept jours sur sept, 365 jours par an. « Je n’ai que 33 ans, j'ai toujours grandi avec cette passion, je suis né dans cette exploitation, on a le sang de la terre qui coule dans nos veines, et forcément on s’inquiète pour l’avenir. » Il redoute, par ailleurs, une décision qui fasse jurisprudence pour tout riverain qui vit à proximité d’une ferme désormais. Et de relever cette « incohérence totale : d’un côté, on prône la souveraineté alimentaire, et de l’autre, on vous enlève votre outil de travail. Soit on fait le choix et on assume totalement qu’on ne veut plus d’élevages en France et qu’on préfère simplement des villages dortoirs, qu’il n’y ait pas le moindre bruit, la moindre odeur, et on fait venir de l’étranger, soit on accepte qu’il y ait de l’activité dans nos campagnes. »

La proximité oui, mais loin de chez moi, en somme. Ironie du sort : cette décision judiciaire tombe au lendemain du Salon de l'agriculture, tandis que tous, politiques et citadins, vantaient la qualité des produits locaux et se pressaient pour prendre sa photo devant une vache... Valorisés un jour et dénigrés un autre pour leurs bruits ou leurs odeurs, curieuse façon de soutenir nos éleveurs. L'agriculture, mais pas dans mon salon !

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10 mars 2022 à 15:14

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67 commentaires

  1. Au fou… Abattons les derniers coqs qui ont l’outrecuidance de chanter au lever du jour. Ne pas oublier de mettre des grilles autour des arbres et de passer la tondeuse le dimanche matin !

  2. Qui sont ces plaignants , des citadins bobos qui sont , voir souvent nés en ville , ne connaissant rien du monde rural , des difficultés et nuisances possibles . Et voila ces petits bourges qui arrivent , ne veulent pas respirer le bon air des campagnes avec ses effluves et continuent de préférer l’odeur des villes , qu’ils y retournent , que la justice leur donne raison en fermant une exploitation est un scandale .

  3. On marche sur la tête, dans le même sens que Le Parisien qui vient à la campagne et ne veut rien entendre? Coq, vaches, grenouilles etc. Les politiques qui ont fait leur mimiques au salon de l’agriculture peuvent retourner à leur bureau.

  4. Pauvres juges. Lors du concours de la magistrature, on a dû oublier de leur faire passer un test d’intelligence. Car tout est là !

  5. Si les voisins ne voulaient pas de cohabitation avec les vaches ils auraient dû y penser avant de s’installer à la campagne ! Je suis sidérée par cette décision de justice, complètement inique, irrationnelle. Je compatis avec l’éleveur. Mais quel recours lui reste t’il ? Merci de nous informer des suites qui pourraient être données à cette affaire.

  6. Le Juge a du voter Macron. Pauvre éleveur. Je compatis. Tous les malheurs de la France commencent là à Saint-Aubin-en-Bray (Oise). Qu’en disent les écolos politiques de gauche ?

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