[Une prof en France] Résister au rouleau compresseur de la propagande d’État

rouleau compresseur

Une de mes amies me parlait, hier, des oraux blancs qu'elle faisait passer aux élèves de première de son lycée. Ils se préparent à l'épreuve de français du baccalauréat, seule épreuve anonyme et non évaluée par leurs propres professeurs qui apparaît dorénavant dans leur dossier Parcoursup, c'est-à-dire dans le dossier qu'ils soumettent pour intégrer l'enseignement supérieur.

Le candidat, interrogé sur Voltaire, lui avait servi la soupe habituelle que l'on trouve partout, des manuels scolaires aux sites Internet autorisés : héros du camp du Bien, de la tolérance et de la liberté, homme d'ouverture et brillant défenseur de la veuve et de l'opprimé, modèle d'intégrité intellectuelle et de courage… En subissant cette logorrhée convenue, elle a repensé à nos nombreuses discussions à ce sujet et à tout ce que je lui avais dit du Voltaire réel, tel que le révèle sa correspondance, par exemple les pages d'une admirable sincérité qu'il adresse à Damilaville. Ou tel que le dévoile le remarquable livre de Xavier Martin, Voltaire méconnu, et les innombrables citations du grand homme, et de ceux qui l'ont côtoyé, qui dessinent de lui un portrait bien moins flatteur que celui de l'hagiographie officielle. Mais elle n'a rien dit. Pourquoi ? J'ai résumé le dilemme auquel elle était confrontée en une question : notre rôle d'enseignant est-il d'éveiller les élèves à la vérité, ou de les aider à réussir les examens auxquels on les prépare ? Cela paraît douteux, comme question, et pourtant, c'est une question centrale à laquelle nul enseignant ne peut se soustraire et qui soulève de nombreux débats éthiques et déontologiques. 

L'enseignant est-il au service de ce qu'il croit être la vérité ou est-il au service de la réussite - scolaire, sociale… - de ses élèves ? La notion de vérité est un des problèmes philosophiques les plus aigus. C'est la question cruciale que Pilate a posée à Jésus : « Qu'est-ce que la vérité ? » Jésus est resté muet, mais il avait répondu un peu plus tôt en affirmant : « Je suis la Vérité, la Voie, la Vie. » Cela nous fait une belle jambe, en 2023, alors que seuls 5 % des Français vont à la messe, et une telle réponse ne remplirait évidemment pas une copie de lettres ou de philo. Donc, retour à la case départ, dans ce jeu de l'oie relativiste qu'est devenu le parcours scolaire. 

Que dire, en 2023, à des élèves de 16 ans sur Voltaire, quand notre employeur, et donc notre payeur, est l'Éducation nationale ? Que dire, en 2023, quand l'ensemble des loups poussent le même hurlement et que tout chuchotement discordant vous voue à la vindicte publique ? Évidemment, le danger est infime pour tous les enseignants qui applaudissement la moindre prise de parole de Sandrine Rousseau, qui rejoignent Manuel Bompard et Marine Tondelier dans la détestation des audacieux qui réussissent, qui soutiennent les combats courageux d'Aymeric Caron et de Greta Thunberg… Eux claironnent leurs opinions en les parant de l'étendard de la vérité, malgré la sourde réprobation du pays réel qui peine de plus en plus à résister à la déferlante de la propagande massive. Mais les autres ? Ils tentent de se frayer un chemin au milieu des icebergs, en essayant d'embarquer quelques élèves sur leur frêle esquif. Ce qui est interdit aujourd'hui est ce qui devrait être au cœur de toute aventure intellectuelle, pour autant que l'on croie encore que l'éducation est une aventure intellectuelle : le questionnement.

Les enseignants qui résistent au rouleau compresseur de la propagande d'État sont aujourd'hui confrontés aux mêmes dilemmes moraux et aux mêmes dangers que les policiers infiltrés ou les espions en mission : adopter les codes de l'ennemi sans perdre son âme et en œuvrant discrètement, en sous-main, mais de manière efficace, à l'avènement de la vérité. Difficile combat, qui manque parfois de combattants…

Virginie Fontcalel
Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

25 commentaires

  1.  » notre rôle d’enseignant est-il d’éveiller les élèves à la vérité, ou de les aider à réussir les examens auxquels on les prépare ?  » spontanément je dirais  » les deux » tout en mesurant que pour ce qui est d’éveiller à la  » vérité » je conçois que c’est très complexe puisque la vérité des uns n’est pas les vérité des autres… en tout cas si déjà vous pouviez les éveiller tout court, c’est à dire leur faire acquérir un minimum d’auto détermination, de curiosité, de réflexion personnelle, la seconde partie se mettrait sans doute en place d’elle même –

  2. Il y a bien longtemps que l’administration française et surtout l »éducation » nationale sont gangrenées par la gauche dure

    Maintenant on appelle ça le wokisme

  3. Faisons confiance aux temps, ils peuvent nier la vérité elle reviendra, cela peut prendre du temps mais ce qui est semé, arrosé poussera, vous travaillez pour le futur
    Le temps de la vérité est le temps long et non celui l’immédiateté
    Courage

  4. De mon temps, les Prof’ nous expliquaient les beautés du Marxisme Soviétique mais en langue française s’il-vous-plait . « L’ensemble des loups poussent le même hurlement » est une tournure qui ne serait pas passée à cette époque rigide .

  5. L’enseignant est-il au service de ce qu’il CROIT être SA VÉRITÉ ?
    D’une croyance à une autre ?

  6. Le goulag en moins, et encore, cela ressemble furieusement à l’époque bénie par certains de Ceausescu en Roumanie. Les biens pensants sont un peu la nouvelle Stasi : ils usent du bannissement social, des attaques ad nominem, de persécutions, de blocage des carrières des opposants, de la propagande auprès des jeunes. Ce pays est une dictature soviétique pour les classes moyennes et un havre libéral pour les grandes fortunes.

  7. Qu’est-ce que la vérité pour Aristote ?
    Le vrai, pour Aristote, répond finalement à quatre conditions: il se situe au niveau du discours ou de la pensée; il énonce (ou fait connaître) ce qu’il y a un autre niveau (l’être); il est vrai parce qu’il le dit tel qu’il est; et pour ce faire, il est composé du sujet dont il parle et d’un prédicat qu’il en dit.
    Mais si tous ceux qui pensent avoir raison, n’avaient pas tort, la vérité ne serait pas loin.

  8.  » Difficile combat qui manque parfois de combattants …  » vous avez tout résumé dans cette courte phrase madame Fontcalel, en espérant que le combat ne cessera pas faute de combattants ! Merci à vous.

  9. Les élèves ne lisent plus, ils ne savent même pas ce qu’est un livre, ce qu’est le bonheur de courir les rayons d’une bibliothèque où d’une librairie…
    « En même temps », comme dirait l’autre, ils n’ont pas, pour nombre d’entre eux, les moyens de se nourrir proprement, imaginez donc de nourrir leur cerveau intellectuellement, c’est inaccessible !

    • Par contre, ils sont à même de le nourrir copieusement de naiseries télévisuelles ou réseaux sociaux…

  10. Bravo aux enseignants qui ont encore le courage d’instruire dignement , pour qui la réussite des élèves est primordial . Une espèce en voie de disparition hélàs .

  11. Excellent témoignage, mais on ne peut que constater que ces enseignants qui ont à coeur d’instruire réellement nos enfants, ne sont pas nombreux. Aussi, grand bravo à ceux qui résistent.

  12. Texte très courageux. Comme au temps de l’URSS où les russes ne parlaient librement que dans leur cuisine et encore, s’il étaient sûrs des personnes en leur compagnie. Aujourd’hui, les français se taisent en public ou font mine d’approuver le discours gaucho-bienpensant occidental car le risque d’être inquiété dans son emploi ou par un dénonciateur est réel. Nous ne sommes plus un pays démocratique et la liberté d’expression devient un danger. Il est interdit se se questionner, il est recommandé d’obéir au système polito-médiatique. Maintenant, il est vrai que beaucoup de français ne se questionnent pas ; il se satisfont du prêt-à-penser qui leur est servi matin, midi et soir. Le problème est là car ceux-là sont majoritaires.

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