[UNE PROF EN FRANCE] Le royaume de la triche

J’assistais, la semaine dernière, au conseil de classe d’une de mes filles, en tant que parent délégué. Classe de première générale. Le directeur a annoncé que l’établissement allait prendre des mesures drastiques contre la triche, qui s’est développée de manière exponentielle, ce qui a incité les élèves honnêtes à s’insurger et à se plaindre. J’ai interrogé ma fille. Les premières places sont en effet occupées par ChatGPT, conseiller particulier et secret d’une quinzaine d’élèves de la classe. 15 sur 35, cela commence à faire un pourcentage conséquent.
L'ombre menaçante de Parcoursup
Exeunt les techniques de triche à l’ancienne, les formules inscrites dans la trousse ou dans la paume de la main, les antisèches dans les chaussettes, sans parler des astuces drôles et ingénieuses imaginées par Les Sous-doués. Les élèves s’arrangent juste pour garder leur téléphone. Pour cela, rien de plus simple : ils en ont un second, qu’ils déposent dans la bannette placée à cet effet sur le bureau du professeur lors des contrôles. Lorsque le professeur distribue le sujet, ils le prennent en photo, l’envoient à leur assistant électronique américain qui, en deux ou trois secondes, leur propose un devoir qu’ils n’ont qu’à recopier. Comme dans tous les réseaux, les fissures sont venues du facteur humain : la solidarité dans les classes a ses limites et l’ombre menaçante de Parcoursup est venue mettre à mal l’omerta complice du groupe. Je ne blâme pas mes collègues. Il est pratiquement impossible d’exercer une surveillance parfaite sur une classe de plus de 35 élèves dans une salle mal agencée, sans espace entre les rangs, quand l’Éducation nationale n’a pas encore livré les exosquelettes qui permettront d’avoir des yeux dans le dos. Les futurs professeurs seront peut-être génétiquement améliorés de manière à avoir des yeux de mouche…
Pourquoi les élèves trichent-ils autant ? Ils ont, évidemment, tous les défauts de leur génération, c’est entendu. Mais dans la classe de ma fille, la plupart des tricheurs font partie des meilleurs élèves, et des plus ambitieux. La réforme du baccalauréat, que vous avez peut-être suivie de loin, a fait de chaque contrôle une pierre du fameux sésame. Mais peu se soucient vraiment du bac. L’enjeu réel, c’est Parcoursup, la plate-forme d’entrée dans l’enseignement supérieur. Or, Parcoursup est ouvert de janvier à mars de l’année de terminale. Ainsi, les élèves montent leur dossier de candidature avec leur premier bulletin de terminale et les trois bulletins de première. Parcoursup reprenant les moyennes annuelles des élèves, chaque contrôle compte et les stratégies de triche prennent tout leur sens.
Comme je suis un dinosaure d’un autre âge, il me semble que ce phénomène pose de nombreuses questions, des questions morales, des problèmes de rapport à la vérité ; enfin, de vraies questions à la fois philosophiques et sociétales.
« Encourager l'initiative personnelle »
Mais un article de GraphoLearn m’a rassurée. Son titre : « La Face cachée de l’échec éducatif : et si on laissait nos enfants tricher ? » La triche pourrait être une manière de « réveiller l’intérêt des élèves et de favoriser un apprentissage actif plutôt que passif. La tricherie est ancrée dans une imagerie négative, synonyme de malhonnêteté. Mais peut-on envisager la triche comme une réponse créative face à un système éducatif figé ? […] Permettre certaines formes de triche contrôlée pourrait encourager l’initiative personnelle, stimuler la collaboration et le partage de connaissances, favoriser une mémoire active par la recherche d’informations plutôt que la mémorisation brute. Nous pensons que le modèle éducatif doit évoluer vers plus de flexibilité et d’inclusion. »
Heureusement que le pédagogisme est là pour changer notre regard obtus et nous ouvrir de nouveaux horizons ! Cessons de faire la chasse à la fraude et « repensons notre approche » : les refus d’obtempérer seraient juste une résistance à l’oppression d’une société policière, les vols à l’arraché une volonté active de redistribution plus égalitaire des richesses, la fraude fiscale un héritage de Robin des bois. « Saisissons l’opportunité de transformer ces défis en nouvelles perspectives ! »
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44 commentaires
Il doit être facile de détecter un devoir réalisé par – ou avec l’aide de – ChatGPT. A quoi cela sert-il d’entrer dans le jeu de cette tricherie « officielle » ? Où est la morale ? Le jeune qui ne travaille qu’avec l’IA subit un appauvrissement de sa réflexion, une mise à l’écart de son cerveau. Quel sera le bilan à la sortie du lycée ? Comment rejoindre les classes préparatoires et réussir les concours qui suivent ? Le Ministère peut-il en toute impunité laisser faire ? Les professeurs doivent-ils fermer les yeux ? laisser croire qu’ils sont dupes de la supercherie ? Ou entraîner les jeunes à tirer profit du nouvel outil, grâce à une réflexion sérieuse et un usage raisonné ?