[UNE PROF EN FRANCE] Le Danemark, les écrans et l’utopie égalitaire

Le Danemark a été pendant plusieurs décennies le pionnier européen du numérique pédagogique. Les écrans étaient omniprésents dans les salles de classe. Les téléphones étaient autorisés et l’on pensait qu’ils seraient de bons supports d’apprentissage. L’IA était utilisée par tous. Les tablettes remplaçaient les livres et les cahiers, les tableaux numériques avaient remplacé les tableaux sur lesquels couraient les stylos et tout le monde se félicitait de cette modernité connectée.
La catastrophe numérique !
En société pragmatique, le Danemark a voulu évaluer les résultats de ces investissements massifs et de ce changement de paradigme. Alors, les yeux se sont ouverts et les oreilles ont entendu… Les autorités danoises opèrent depuis quelques mois un revirement total. Interdiction des téléphones à l’école jusqu’à 17 ans, même pendant les intercours et les pauses, interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans, retour des livres et de l’enseignement « analogique ». Les débats sont intéressants. On entend qu’on « vole aux enfants leur enfance », on met en avant le bien-être des enfants, qui souffriraient d’une exposition permanente aux écrans. Enfin… on entend toutes les évidences qui devraient prévaloir dans tous les pays et dans toutes les écoles, et qui ne font pourtant absolument pas le poids devant la déferlante du numérique et son magnétisme à l’attraction duquel personne ne résiste.
Une phrase lue dans l’article consacré au sujet par l’Observatoire de l’Europe a attiré mon attention. « C’est une école et le but de toute école est d’apprendre. Et beaucoup d’élèves ont perdu tout intérêt pour l’apprentissage. » Ça, c’est le véritable constat, et peut-être le véritable drame : une partie de notre jeunesse est dénuée de tout intérêt pour l’apprentissage. Mais cela appelle deux réflexions.
La première est que les conséquences d’une exposition dérégulée aux écrans sont abondamment documentées et qu’elles sont universelles : passivité, habituation aux récompenses rapides, non-gestion de la frustration, problèmes de concentration…
Le désir d'apprendre est-il si universel ?
La seconde est que, décidément, la lunette à travers laquelle on observe l’école a une lentille fortement déformée par l’idéologie. Les jeunes n’ont plus d’intérêt pour l’apprentissage ? Mais en ont-ils jamais eu un, si l’on excepte une faible part d’entre eux ? Souvenons-nous des héros de La Guerre des boutons. Lequel est curieux de géographie ou d’arithmétique, à part la Trique ? Dans Le Petit Nicolas, qui se soucie de culture, à part Agnan ? Les autres pensent surtout à jouer, à manger et à se bagarrer. On fantasme l’adolescence parce qu’on la voit comme un prolongement de l’enfance. Les jeunes enfants sont souvent curieux - et encore, pas tous - parce qu’ils ont tout à découvrir. Les adolescents connaissent leur environnement : ce sont des adultes, mais en pire ; l’énergie et le courage en moins. Une partie des adultes se réveille à force d’ennui. Quand on a fait le tour de son activité professionnelle, qu’on n’a plus rien à dire le soir à son conjoint et qu’on ne vibre plus devant les programmes de divertissement, on se pose quelques questions et l’on recommence à vouloir apprendre des choses. C’est alors qu’on regarde les émissions de Stéphane Bern et qu’on s’extasie devant la culture des instagrammeurs qui expliquent le sens des mots et l’origine de nos traditions… Je ne sais pas pourquoi on voudrait que tous les adolescents s’intéressent à la littérature, à l’histoire, aux sciences ou à l’art. Par quel égalitarisme forcené considère-t-on comme normal que tout le monde prenne plaisir à la chose intellectuelle ? Ce n’est pas normal, c’est une utopie progressiste.
Soit on rétablit une discipline de fer et on oblige les jeunes à apprendre des choses qui ne les intéressent absolument pas, comme on l’a fait massivement du milieu du XIXe siècle au milieu du XXe siècle. Soit on continue à prôner le bien-être à l’école et l’épanouissement des élèves en prétendant s’appuyer sur leur motivation et leur investissement dans un système faussement non sélectif : alors, c’est la quadrature du cercle, et on ne peut qu’aller de déception en déception, voire de catastrophe en catastrophe.
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52 commentaires
Non, les « ados » ne sont pas des adultes…comme les autres. Ils n’ont pas appris la responsabilité, corollaire de toute liberté. Ils sont influençables et les adultes savent se servir de leurs fragilités pour les tenir à la main ou dans l’ignorance pour que Big Brother les manipule.