Vendredi 24 juin 2022, la Cour suprême des États-Unis d’Amérique a annulé deux arrêts rendus antérieurement par cette même Cour, en 1973 et en 1992.

Ces deux arrêts précédents, en gros, retiraient aux États de l’Union la possibilité d’interdire l’avortement, estimant que l’accès à l’avortement constituait un droit constitutionnel, au nom du respect de la vie privée. L’arrêt de 2022 affirme, pour sa part, que l’accès à l’avortement n’a pas réellement été prévu par la Constitution.

Nous n’allons pas, ici, gloser sur le contenu, la pertinence, l’adéquation de ce nouvel arrêt : nous laissons cela à la dispute publique. Nous voudrions uniquement mettre cet arrêt en perspective, pour éviter des contresens à son propos.

Un certain nombre de Français, à force de regarder des séries télévisées américaines, tendent à considérer que la France constitue le cinquante et unième État de l’Union américaine. Mais, en vérité, cet arrêt de la Cour suprême ne concerne aucunement la France, dont la législation ne va pas être modifiée.

Le deuxième point à souligner, c’est que cette décision fait partie de la vie des institutions des États-Unis. Il n’y a aucun coup de force, aucune illégalité. Les juges de la Cour suprême, nommés conformément à la loi, rendent un arrêt à propos de la loi d’un État qui leur a été soumise, et ils le font sur un plan juridique, en interprétant la Constitution. C’est un travail qu’accomplit chaque jour la Cour suprême.

Le troisième point à faire ressortir est celui du fonctionnement de cette cour. Il est clair que ses membres sont choisis notamment sur des critères politiques, puisque c’est le président qui nomme un nouveau membre à la mort ou à la démission d’un membre : un président progressiste désigne ainsi des progressistes, un président conservateur jette son dévolu sur des conservateurs. La Cour suprême était donc autant politique en 1973 ou 1992 qu’en 2022.

Mais la Cour suprême n’est pas en soi une instance politique, comme la Chambre des représentants ou le Sénat : cette cour décide, non pas souverainement par un simple vote, mais sur des bases juridiques tirées de la Constitution. Les arrêts de 1973, de 1992 et de 2022 sont tous rédigés en termes juridiques et constitutionnels.

Trois éléments ont influé sur la décision de 2022. Le premier, c’est que la Cour a basculé du côté conservateur dans les récentes années, alors qu’elle était progressiste en 1973 et en 1992 : phénomène classique d’alternance. Le deuxième élément, c’est que les arrêts de 1973 et de 1992 étaient censés procurer l’apaisement : or, jamais la société états-unienne n’a été aussi divisée qu’aujourd’hui sur l’avortement. Le troisième élément, c’est que les juristes de 1973 et de 1992 ont eu une lecture plutôt « extensive » de la Constitution, tandis que les juristes de 2022 ont une lecture plus « littérale » : divergences juridiques, donc.

Enfin et surtout, et contrairement à de multiples affirmations médiatiques, cet arrêt de 2022 n’abroge nullement le « droit à l’avortement », ou s’il le fait, c’est tout au plus au niveau fédéral. En fait, il restitue aux Parlements élus de chaque État de l’Union la possibilité de légiférer à ce propos, alors qu’ils étaient privés de ce droit depuis 1973. C’est tout simplement, pour le peuple souverain, avoir de nouveau la capacité de choisir. Demain, si le Parlement d’un État promulgue une loi sur l’avortement qui ne plaît pas aux électeurs, ceux-ci auront tout le loisir d’y envoyer une autre majorité pour défaire cette loi.

Il est un peu étonnant, pour conclure, que des personnes qui protestent matin, midi et soir contre la primauté des lois, des règlements, des arrêts de justice européens sur les lois, règlements et arrêts de justice nationaux soient aujourd’hui vent debout contre une décision juridique qui se résume à redonner la parole au peuple.

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02 juillet 2022 à 18:00

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16 commentaires

  1. Notre Conseil Constitutionnel est du même ordre sur le plan politique, avec les nominations, mais, il est renouvelable. 9 ans de mandat renouvelable par tiers tous les 3 ans. Non à Vie !
    Son Pb ? Le système majoritaire de l’A.N. le laissait un peu tranquille, voire complice.
    Cela va changer avec bcp de QPC, avec la nouvelle assemblée.

  2. Bien trop subtil pour être compris de celles-zé-ceux qui défilent en braillant dans nos rues citoyennes…

  3. Enfin un peu de sérénité dans ce débat !

    Car, bien évidemment, c’est au législateur ( au Congrès : Chambre + Sénat ) d’amender en conséquence la Constitution américaine pour y ajouter un droit : celui d’avorter du bébé qu’une femme porte !

    Ce n’est PAS aux juges d’ajouter des « droits » ils sont là pour (faire) respecter la Constitution et les lois du peuple américain !

    Sachez que je suis père de huit enfants (ils sont grands !) et je suis « pour » l’avortement !

  4. Les juges de 1973 étaient eux aussi politisés, nommés (de 61 à 69) par les démocrates Kennedy et Johnson. Et donc centralisateurs pro fédéralisation. Quant à la phrase :  » le contenu, la pertinence, l’adéquation de ce nouvel arrêt : laissons cela à la dispute publique ». C’est surtout aux juristes ! La Cour ne dit pas qu’il faut abroger l’avortement mais dit simplement que si c’est une question de santé (ce que disent les avorteurs) elle n’est pas compétente mais les États. Bien joué !

  5. C’est clair, net et précis. Merci Monsieur. J’espère que nombre d’esprits obtus vous liront et cesseront d’organiser une tempête dans un verre d’eau français qui n’en contient pas.

    1. Malheureusement, trop peu. Et tant de personnes sont butées, emprisonnées dans le raisonnement qu’on leur mis dans le crâne.

  6. Comment notre société a-t-elle pu tomber si bas, se donner le droit de trucider des enfants à naître, si la société politique française avait un tant soit peu de moralité jamais elle n’aurait cédé à la facilité pour plaire et complaire à ces pseudos humanistes de tous bords.
    Il est vrai que « Pour triompher le Mal n’a besoin que de l’inaction de gens de bien ! »

    1. Je suis contre les infanticides évidemment, mais obliger une femme à porter neuf mois le fruit d’un viol ou d’un inceste ou un foetus monstrueux est inhumain.

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