Un débat ouvert : les traites arabo-négrière et atlantique sont-elles comparables ?

Esclavage au Sud Soudan, XIXe siècle. © Wikipedia
Esclavage au Sud Soudan, XIXe siècle. © Wikipedia

« On ne peut pas comparer l’esclavage des mondes musulmans et la traite atlantique » : recueillis par L'Obs, ces mots de l’historien M’hamed Oualdi surprennent. N’a-t-il pas participé à « une histoire comparée » des Mondes de l’esclavage (Seuil) ? Autre surprise, bonne celle-là : d’ordinaire, la traite arabo-négrière est tue, cachée, comme si elle n’avait jamais existé. L’exposition « Oser la liberté », au Panthéon ces mois derniers, faisait l’impasse totale sur le sujet : le but est toujours d’accréditer dans les intelligences que seule exista une traite occidentale blanche et chrétienne. L’interview de L'Obs va à l’encontre de l’oukase de l'ancien ministre Christiane Taubira selon lequel il ne faut pas culpabiliser les jeunes Arabes issus de l’immigration avec cette histoire de traite musulmane. C’est en soi un progrès.

M’hamed Ouali n’utilise pas l’expression « traite arabo-négrière » (trop racisée ?), récuse celle de « traite orientale » comme ne reflétant pas l’étendue géographique réelle de la pratique. Même s’« il est vrai que l’islam fournit un cadre juridique et des normes pour l’asservissement des êtres humains », il ne veut pas non plus qu’on parle de « traite islamique » au motif que, parfois, des musulmans (noirs) ont été réduits en esclavages par d’autres musulmans (arabes). N’est-ce pas un tantinet spécieux ? M’hamed Ouali préfère l’expression « l’esclavage dans les mondes musulmans ». Ce n’est pas sot : cela permet d’y inclure l’Empire ottoman.

Treize siècles de traite, avec castration systématique

Qu’est-ce qui rend non comparables, selon lui, les commerces d’ébène ? La simplicité de l’un (notre commerce triangulaire), la complexité de l’autre (« l’esclavage dans les mondes musulmans »). Mais cette complexité, c’est d’abord à sa durée qu’il la doit, et deux durées se comparent aisément. La traite orientale naît au VIIe siècle - avec l’islam, coïncidence ? - et dure jusqu’au début du XXe (sinon jusqu’à nos jours). Elle dure quatre fois et demie plus longtemps que la traite occidentale. Ses victimes s’en trouvent mathématiquement augmentées. D’autant que sa pratique ne fut pas exempte de cruauté surajoutée. L’historien franco-sénégalais Tidiane N’Diaye l’a écrit sans ambages : « Alors que la traite transatlantique a duré quatre siècles, c’est pendant treize siècles sans interruption que les Arabes ont razzié l’Afrique subsaharienne. […] La plupart des millions d’hommes qu’ils ont déportés ont disparu du fait des traitements inhumains et de la castration généralisée. »

M’hamed Ouali jette le discrédit sur cet ouvrage : « Le livre ne s’appuie sur aucune source historique précise. » Il renouvelle là un tropisme musulman : « Saluée par le monde universitaire, écrivait Le Point en 2017, cette plongée dans le passé négrier du continent africain lui avait valu [à Tidiane N’Diaye] un mauvais procès de certains intellectuels musulmans et de nombreuses associations mémorielles. » M. Diaye dérange, qui a le verbe clair.

Les Blancs, coupables et surtout pas victimes

« Il ne doit pas y avoir compétition des souffrances », dit M’hamed Ouali. Il a raison, mais cela arrange ses affaires, lesquelles n’ont rien à voir avec la compassion. « Dire que les unes sont plus graves que les autres, c’est extrêmement dangereux », ajoute-t-il. Dangereux pour qui ? Pourquoi ? Une remarque de la journaliste qui l’interviewe, Julie Clarini, explique tout : la question de l’esclavage dans le monde musulman « est régulièrement instrumentalisée pour disculper l’esclavagisme européen ». Au-delà de telle ou telle raison « historique », il ne faut pas comparer les esclavages car la grande culpabilité de l’homme blanc s’en trouverait amoindrie.

Un homme blanc auquel, logiquement, le statut de victime est toujours refusé. Adoptant une posture « antiraciste », M’hamed Ouali n’envisage que les Noirs comme victimes. Omises, les victimes européennes razziées par les Barbaresques dans les îles et sur les côtes méditerranéennes (et parfois en Atlantique, jusqu’en mer du Nord), omis les chrétiens de l’Europe des Balkans réduits en servitude par l’Empire ottoman… Les tabous autour d'un certain esclavagisme ont la vie dure.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 19/04/2024 à 14:18.

Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

Vos commentaires

37 commentaires

  1. Les traites arabo-negrieres furent évidemment pires que les traites atlantistes… d’abord sur la durée et au regard des traitements infligés aux esclaves ;notamment la castration des males.

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