Cela faisait longtemps que Le Monde n'avait pas publié une tribune en faveur des migrants, de la transgression de la loi et d'un progressisme d'autant plus facile à invoquer qu'il ne risquera jamais de mettre les personnalités diverses - écrivains, artistes et autres - l'ayant signée en position d'avoir à l'assumer.

Elles proclament fièrement : "Nous avons aidé et aiderons tout migrant dans le besoin."

Elles jugent "inacceptable le procès intenté à trois personnes ayant aidé des migrants à la frontière italienne".

Parmi les signataires de la tribune, il y a Cédric Herrou, un agriculteur condamné en appel à quatre mois d'emprisonnement avec sursis pour avoir aidé des migrants dans la vallée de la Roya, dans les Alpes-Maritimes. Le maire de la ville de Grenoble a eu le front de lui remettre la médaille de la cité, ce qui a justement indigné le préfet. Qu'un homme dont la fonction municipale est notamment d'incarner le civisme et l'exemplarité qui passent par le respect scrupuleux de la loi s'égare au point de féliciter celui qui l'a transgressée est affligeant.

Je me souviens de certaines réactions après l'arrêt ne confirmant pas la peine de trois ans d'emprisonnement en première instance à l'encontre de Jérôme Cahuzac. On craignait l'impression d'un deux poids deux mesures qui ne pouvait que déstabiliser, paraît-il, des banlieues promptes à crier à l'injustice et à la différence de traitement entre privilégiés et elles. Pourquoi pas ? Je suis persuadé que des signataires de la tribune devaient être de cet avis en regrettant une application moins sévère de la loi.

Ces mêmes signataires s'indignent du fait qu'on n'ait pas poursuivi, au nom de la loi, plusieurs dizaines de militants du mouvement Génération identitaire ayant eu pour objectif de "bloquer l'arrivée des personnes migrantes et de les renvoyer vers l'Italie", au col de l'Échelle dans les Hautes-Alpes.

Au fond, la loi n'est souhaitée dans sa rigueur qu'à l'égard de leurs adversaires ou de ceux qui, comme Cahuzac, ne relèvent pas de leur conception de "l'humanisme correct".

Cette tribune vise peu ou prou, en dénonçant une "froideur déshumanisante", à battre en brèche les dispositions relatives à l'aide à la circulation ou au séjour irrégulier, déjà fortement adoucies. De la part d'intellectuels, d'artistes et d'écrivains dont la voix a un écho politique et médiatique important, une telle dérive, au regard de l'éthique et de la République, est plus préoccupante. Car, en nos temps calmes, la morale réside dans le respect de la loi, et non dans des injonctions confortables à la violer.

Cette tribune a beau se vautrer dans la bonne conscience, elle est une mauvaise action.

Elle va fragiliser encore davantage, sur le plan judiciaire, des procédures qu'il convenait d'engager mais qui peuvent déstabiliser le ministère public, comme par exemple à Nice où la relaxe a dû être requise à cause d'une confusion sur les auteurs de l'infraction. Justice sera de moins en moins faite et la loi de moins en moins respectée.

Et cette tribune est lâche, car se vanter de violer la loi quand on ne risque rien ne relève pas de l'audace mais d'une posture narcissique. Aussi collective qu'elle prétende être.

Il est dramatique que des esprits éclairés feignent de ne pas comprendre que l'État, face au réel, a des responsabilités et que son humanité vaut la leur, si fière d'avoir signé une tribune, au mieux équivoque, au pire nuisible.

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01 juin 2018 à 12:05

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