Repenser encore et toujours « la culture », ce seul remède à la barbarie ?

Aurore Bergé

Plus le temps passe et plus les difficultés s’amassent, plus il devient évident que, en effet, il n’y a que la culture pour rassembler les individus. Je n’ose pas dire les peuples, encore moins les compatriotes qui, la « patrie » étant désormais un mot imprononçable pour un concept insupportable à beaucoup, se regroupent en « communautés ».

Après quelques décennies où la culture, qui supposait de se cultiver, a cédé la place à la culture au sens anthropologique du terme ; après, donc, que « la démocratisation de la culture » eut accompli ce miracle qui veut désormais que « tout est culturel », on s’avise aujourd’hui que c’est, en fait, le « désert culturel » dans bien des têtes et, par voie de conséquence, la barbarie dans bien des cœurs. Pour résumer d’une phrase chère à Jack Lang, ministre de la Culture à vie, depuis que nous sommes « passés de l’ombre à la lumière » (cf. l’élection de François Mitterrand, le 10 mai 1981), le n’importe quoi s’est fait une place de choix.

Parler (le français, c’est mieux !), lire, regarder (pas seulement son écran), écouter autre chose que le son numérisé qui gueule ses basses dans les oreilles, tout cela s’apprend. C’est une éducation. Et non seulement il faut mettre les apprentissages en pratique mais, en amont de cela, convaincre l’école et les familles de leur nécessité.

C’est dans cette optique qu’une mission a été confiée par Édouard Philippe à Aurore Bergé, députée LREM des Yvelines. Cette ex-UMP, puis LR, sortie du sillage d’Alain Juppé pour soutenir Emmanuel Macron, a donc remis, ce lundi, son rapport au Premier ministre. Elle y trace les pistes d’une politique culturelle repensée, selon les vœux de l’exécutif, pour parvenir à « l'émancipation et l'inclusion par les arts et la culture ».

Vaste programme…

Le Point a interrogé Aurore Bergé sur le contenu de son rapport. Parmi les 60 mesures qu’elle propose « après avoir sillonné les régions et interrogé des centaines d'acteurs culturels », elle en est arrivée à la conclusion qu’il faudrait « instaurer la notion de “santé culturelle” pour les jeunes enfants ». « Si l’on considère que la première porte d'entrée pour la culture est la famille, là où se créent les premières inégalités, il faut rompre avec la logique de stimulation de l'enfant et instaurer une logique de santé, qui ne concernera pas seulement son poids et sa taille, mais aussi sa connexion aux mots, aux sons et aux images », dit-elle.

De même, pour sortir des impasses où nous sommes toujours enlisés – « La culture est encore perçue comme un domaine réservé aux privilégiés », dit-elle –, l'éducation artistique et culturelle doit être considérée « comme une discipline à part entière ». Les gens ne sont pas dupes et savent bien que demander à des ados de rejouer une scène de racket dans la cour du collège relève de la thérapie sociale et pas du théâtre, et qu’offrir un crayon ne suffit pas à faire de vous Léonard de Vinci. Il faut convaincre et former les enseignants, établir des « correspondances » entre les matières : musique et mathématiques, par exemple, ou histoire de l’art et Histoire de France… Bref, réinventer l’eau tiède.

Le parisianisme est aussi ravageur, cultivant un « entre-soi » qui méconnaît une vie culturelle souvent riche en région. Parler de « zones blanches culturelles », par exemple, témoigne plus du mépris que de la connaissance du terrain. « Au regard du maillage d'équipements culturels, c'est une idée fausse, dit Aurore Bergé. Quel que soit le territoire, vous avez des acteurs de la culture, partout. Il y a du “hors les murs”, des compagnies, des associations… Parler de “désert culturel” est une idée très parisienne. »

Enfin, le pass Culture qui offre aux jeunes de 18 ans 500 euros « d’achats culturels » doit être repensé. En effet, dit la députée, « penser qu'on va changer la pratique culturelle d'une personne de 18 ans est un leurre. L'argent ne suffit pas à créer l'habitude culturelle. » Pour sûr…

Marie Delarue
Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

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