Quand les talibans donnent des leçons de politique…
Manifestement, les nouveaux maîtres de Kaboul ont vite appris des échecs passés, de leur prise de pouvoir en 1996 à leur éviction en 2001, il y a vingt ans. Mieux : l’attentat perpétré par l’État islamique à l’aéroport de la capitale afghane continue à les remettre au centre du jeu, puisque les faisant désormais passer pour « modérés » vis-à-vis de leurs concurrents islamistes.
En effet, ces deux factions ne poursuivent pas les mêmes buts. Et si comparaison n’est pas raison, voilà qui évoque l’opposition entre Joseph Staline et Léon Trotski ; l’un voulant établir le socialisme dans un seul pays, l’URSS, l’autre rêvant de le répandre à échelle planétaire. En son temps, Daech voulut pourtant établir un califat entre Syrie et Irak. Un fiasco qui le pousse donc aujourd’hui à un internationalisme sans grand avenir, alors que les talibans ne se projettent qu’à échelle nationale.
Pour ce faire, ils savent qu’ils ont besoin d’une reconnaissance diplomatique, fût-ce a minima. Le gel de leurs avoirs bancaires à l’étranger et la menace de voir couper l’aide internationale peuvent aussi aider à réfléchir… D’où leur dialogue avec les USA, initié sous Donald Trump. D’où, encore, les assurances formelles faites à la Russie, la Chine et l’Iran.
Pour ces deux premières capitales, le nouveau régime est une menace potentielle en matière de terrorisme : même si l’Afghanistan n’a jamais activement participé à ce dernier, il lui est arrivé d’en servir de base arrière, du temps d’Al-Qaïda. Pour Moscou, il fallait donc être sûr que Kaboul ne participe pas à la déstabilisation des républiques musulmanes du Caucase. Pour Pékin, dont les investissements économiques s’annoncent gigantesques en Afghanistan, il fallait avoir la certitude que les talibans ne prêtent pas main-forte aux musulmans ouïghours, coupables de visées séparatistes.
Il semblerait que Russie et Chine aient eu les assurances nécessaires. Quant à l’Iran, nation incontournable en cette région du monde, il y avait deux autres inquiétudes : ces centaines de milliers de réfugiés afghans que Téhéran commence à refouler en leur pays d’origine, sans oublier le mauvais traitement fait à leurs coreligionnaires Hazaras de confession chiite, l’une des innombrables minorités ethnico-religieuses afghanes. Là encore, l’ayatollah Ali Khamenei paraît avoir obtenu satisfaction.
Bref, les talibans apprennent vite en politique, au contraire de la génération précédente. La preuve en est que la grande oubliée de ces négociations, l’Inde, est désormais courtisée par le nouveau régime. Ainsi, Shir Mohammad Abbas Stanikzai, l’un des talibans les plus influents du moment, vient-il d’officiellement déclarer : « L’Inde est très importante pour le sous-continent. Nous voulons poursuivre nos liens culturels, économiques et commerciaux avec l’Inde, comme par le passé. »
Et Claude Leblanc, spécialiste de la région, de noter, dans L’Opinion du 31 août : « Ces propos soulignent le rôle clef que les nouveaux maîtres de l’Afghanistan voudraient attribuer aux Indiens, afin de ne pas être totalement dépendants du Pakistan ou de la Chine, présentés comme les grands vainqueurs du retrait américain. » Il est un fait que le Pakistan, dont les provinces occidentales sont majoritairement pachtounes, a toujours eu la tentation de considérer l’Afghanistan comme l’une de ses dépendances ; d’où l’aide massive apportée à ces talibans formés dans les madrasas pakistanaises.
Seulement voilà, la reconnaissance a ses limites et les talibans, après avoir, des décennies durant, profité de l’aide en question, semblent maintenant estimer qu’ils sont seuls maîtres de leur destin.
Ce qui explique ces gestes d’apaisement déployés tous azimuts. Et surtout le fait que les talibans ne se débattent pas plus que ça pour retenir leurs opposants intérieurs, jugeant qu’ils seront autrement moins gênants quand exerçant leurs talents à l’extérieur. Une assez bonne leçon de réalisme politique, somme toute.
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