Quand les stars de Game of Thrones n’acceptent pas les discours conservateurs de leur série

games of throne

Interrogé, il y a quelques jours, par The Telegraph, l’acteur Kit Harington, qui incarnait le personnage de Jon Snow dans Game of Thrones, évoquait sa volonté d’en finir avec les rôles virils : « J'ai l'impression que les hommes ont un problème d'un point de vue émotionnel, un blocage datant de la Deuxième Guerre mondiale […] Nous ne parlons pas de nos sentiments parce que cela dévoilerait nos faiblesses, parce que ce n'est pas masculin. [… ] Ce n'est plus un personnage que j'aimerais jouer désormais, car c'est une figure masculine que le monde n'a plus besoin de voir. »

Le comédien fait là un contresens manifeste dans la mesure où son personnage pleurnichait déjà beaucoup sur son sort et où, surtout, ce sont précisément les deux guerres mondiales qui accouchèrent d’un homme nouveau à l’écoute de ses émotions et de ses sentiments, mais passons.

Quelques mois plus tôt, c’est Emilia Clarke, partenaire de jeu de Kit Harington, qui s’offusquait de voir Jon Snow tiré d’affaire après le meurtre de la reine Daenerys, comme si les scénaristes avaient manqué de moralité. Pourtant, tous les personnages s’accordaient à voir en elle un despote en puissance. Son régime ayant été renversé, quoi de plus normal que le « héros » s’en tire…

Ce qui est frappant, dans ces réactions de Kit Harington et d’Emilia Clarke, c’est qu’elles font preuve d’un manque de compréhension évident de l’univers dépeint dans la série.

Game of Thrones est une œuvre d’heroic fantasy, tout comme le fut la saga du Seigneur des anneaux. Un genre qui ambitionne de renouer avec le récit homérique et puise encore davantage dans l’imaginaire arthurien et dans la chanson de geste. Les personnages y ont pour fonction de former la jeunesse occidentale, de poser un idéal de comportement – très proche, d’ailleurs, des valeurs stoïciennes – face à une situation donnée, et sont donc volontairement archétypaux.

La série de David Benioff et Daniel Brett Weiss reposait, dès le départ, sur l’imbrication de deux imaginaires foncièrement incompatibles : d’un côté la chanson de geste et les valeurs traditionnelles, de l’autre l’idéal progressiste et le regard sévère porté à l’encontre d’un passé honni (et notamment la période médiévale). D’où la confusion dans laquelle se trouvent aujourd’hui nos deux comédiens…

Car si la série met en avant les figures bien connues du chevalier, de la princesse, du roi, du dragon ou du nain facétieux et intelligent, elle nous gratifie également de tous les clichés progressistes en vogue depuis un demi-siècle : le Moyen Âge sombre et violent, les aristocrates décadents qui couchent entre frères et sœurs, les femmes viriles, les homosexuels prétendants au trône, les sorcières féministes, les seigneurs cruels et sanguinaires, les esclaves en quête d’émancipation, les rois fous, pervers ou fantoches, etc. Le tout mâtiné de sexe et d’hémoglobine pour flatter un peu les pulsions primaires du spectateur – ce qui revient, au passage, à délaisser le public visé à l’origine par l’heroic fantasy : les jeunes adolescents…

Cet équilibre incohérent entre les imaginaires traditionaliste et progressiste va peu à peu basculer, dans les deux dernières saisons de la série, au bénéfice du premier, les scénaristes ayant opté – consciemment ou non – pour un retour aux fondamentaux du genre. Si bien que le trône revient naturellement à la famille la plus vertueuse, les Stark, que le bâtard Jon Snow est écarté du pouvoir, que les envahisseurs « convertissant » en masse dans l’armée des morts sont vaincus et que les peuplades du nord et du sud venues soutenir les héros décident de retourner chez elles, faisant ainsi avorter la naissance d’une société multiculturelle et discordante. N’oublions pas, évidemment, la reine Daenerys, la candidate des droits de l’homme et du sans-frontiérisme humanitaire qui, rendue folle par son idéologie totalitaire, s’en va détruire Port-Réal (la Libye ?) et massacrer ses populations avant d’être punie et envoyée ad patres aux côtés de Robespierre.

Les héros se retrouvent à la fin pour discuter de l’avenir du régime, l’un d’eux propose naïvement d’instaurer une république, mais très vite, l’hypothèse est balayée par quelques rires goguenards…

On sait maintenant, en partie, pourquoi la fin de la série a pu décevoir tant de spectateurs.

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Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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