Quand les jeunes Français vibraient à l’héroïsme de Maroussia, la petite Ukrainienne

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« C’était une vraie fillette ukrainienne, aux sourcils veloutés, aux joues brunies par le soleil, d’ensemble étrangement belle, belle par l’expression de sa charmante physionomie autant que par la pureté même de ses traits […]. Elle portait une chemise brodée à la mode du pays, un jupon bleu foncé et une ceinture rouge. »

Au XVIIe siècle, la vaste plaine à blé de l’est de l’Europe découvre son identité. Ses habitants se battent alors contre l’appétit de la Pologne d’un côté, contre les velléités d’annexion de la Russie de l’autre, pour faire émerger un territoire cosaque autonome, la future Ukraine. Dans ce contexte terrible, un fugitif vient un jour se cacher dans la maison d’une famille de cosaques ukrainiens indépendantistes. Il est le chef de la résistance. Un homme doux et bon, un patriote prêt à tout pour son pays, recherché assidûment et qui se cache. La petite fille aux longues nattes blondes va l’accompagner dans un voyage plein de périls à travers l’Ukraine. Elle lui servira de couverture et de guide dans les paysages féeriques du pays, entre rivières, champs de blé et modestes demeures aux toits de chaume. Elle l’accompagnera dans les rencontres, conduisant les chevaux qui tirent la charrette de foin où il est caché, tenant sa main, accomplissant sa mission héroïque avec le dévouement et la naïveté de l’enfance. Pour l’Ukraine. « Elle se creusait la tête pour s’expliquer que les hommes, au lieu de s’aimer, ce qui lui paraissait si facile, s’efforçassent de se nuire, écrit l’auteur. Est-ce que mon père cherchait querelle à ses voisins ? Est-ce qu’il a jamais eu l’idée de vouloir prendre le champ et la maison d’un autre, bien qu’il en trouvât quelques-uns très beau et quelques-unes très jolies ? Pourquoi veut-on nous ravir notre Ukraine ? Elle est féconde, c’est la plus riche terre du monde : est-ce une raison pour en chasser ceux à qui elle appartient ? » Pour sauver l’Ukraine, Maroussia sacrifiera sa vie.

Le récit s’inspire d’une nouvelle signée d’une Russo-Ukrainienne, Marko Vovtchok, publiée en 1871. Un éditeur français, Pierre-Jules Hetzel, la reprend en 1878 et la signe d’un nom de plume, PJ Stahl. Ce récit patriotique parle alors aux Français meurtris par l’occupation de l’Alsace et de la Lorraine depuis la guerre de 1870. Le livre est salué par un prix de l’Académie française, recommandé par le ministère de l’Instruction publique et loué par la critique littéraire et les grands romanciers Flaubert ou Jules Verne. Il est traduit dans de nombreuses langues. Édité dans la célèbre collection de jeunesse Bibliothèque verte par le groupe Hachette jusque dans les années 1990, Maroussia n’a cessé de fasciner les jeunes Français.

Mais au tournant du siècle, cette ode patriotique devient suspecte. On l’oublie. Elle disparaît lentement des écoles, des bibliothèques, comme tous les grands récits d’amour du pays et d’attachement à la nation. Comme les extraordinaires Contes du lundi d’Alphonse Daudet, par exemple : La Dernière Classe, L’Enfant espion, etc. La mondialisation a eu raison de ces pages emblématiques de la littérature française et irriguées de l’amour du pays qui ont façonné les héros, ceux de 1914 notamment. Un purgatoire imbécile, pour combien de temps encore ? Alors que l’Ukraine vit des heures sombres, il faut lire, faire lire à vos enfants et relire Maroussia. Pour comprendre la résistance acharnée des Ukrainiens et apprendre à aimer l'âme d'un pays. Le nôtre, par exemple.

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

28 commentaires

  1. Oui, mais ce patriotisme littéraire a bien débouché sur la boucherie de 1914-1918 dont l’Europe aurait pu se passer. D’autant plus qu’il n’y a pas à pavoiser pour ce qui s’est passé après… jusqu’à nos jours.

  2. Ça serait bien en effet. Toutefois, il faut voir comment les principaux media rejettent le nationalisme ; français il va s’en dire. Et loue en même temps le nationalisme ukrainien. Selon eux, le nationalisme mène à la guerre. Et se contrefiche des exemples danois, suédois, norvégiens, américains…

    • Vous l’écrivez vous même, ce sont des média français et le plat ventre au gouvernement ne peut pas s’accommoder avec la réflexion, question de circulation sanguine sans doute.

  3. Par delà la geste patriotique touchante qui est racontée ici, il ne faut pas oublier que les russes, biélorusses et ukrainiens ont très souvent des liens familiaux qui les unissent sans parler de la religion orthodoxe, à l’exception notable de l’Ouest du Dniepr qui est majoritairement catholique et tourné historiquement vers la Pologne
    En fait, il y a deux Ukraine
    Quant à l’agression russe, elle s’explique par l’avancée de l’OTAN vers l’Est depuis 20 ans avec l’accord de nos gouvernements

    • Oui : mais si  » l’agression russe, s’explique par l’avancée de l’OTAN » elle n’excuse pas pour autant l’horreur, l’attaque contre un pays souverain et les crimes de guerre contre les civils

      • « crimes de guerre contre les civils »…Qui sont les plus meurtriers ? Les commandos néo-nazis soutenus par Zelenski. Les russes n’ont pas intérêt à s’attaquer au civils

  4. J’ai également adoré ce livre …ce qui prouve que nous ne sommes pas des hirondelles de l’année !

  5. Hier, je discutais avec mon frère. Militaire engagé qui se demandait si l’insouciance des civils valait qu’il sacrifie sa vie pour préserver ces gens mêmes pas capables de s’unir derrière leur armée. Ne parlons pas de prendre les armes. Les ukrainiens sont pour nous des extraterrestres qui ont toute mon admiration.

    • Oui des descendants du Rous kiévien, de l’Hetmanat cosaque, des serfs devenus farouchement libres. Mais les Français furent aussi héroïques

  6. Contresens. Au 17ème siècle, les Khans de Crimée ont mis Moscou à sac et l’ont pillée. Ce sont les mêmes qui détruisent la Pologne en 1655. En avoir fait des Cosaques opprimés par le roi de Pologne ou soumis au tsar, est le fait d’une réécriture de l’histoire.

    • Il s’agit d’une fiction qui ne prétend pas refléter la réalité historique (à moins que je ne me trompe).

    • La Crimée et le Donbass ont toujours été russes.
      – ironique de constater comment le nationalisme est loué…quand il n’est pas Français,
      – fallait pas chercher l’ours russe dans sa tanière,
      – respect des accords de Minsk, retrait de l’OTAN …et des tentatives d’hégémonie US,
      – rappel de la honteuse trahison occidentale subie par les Serbes, nos Frères, et des
      crimes contre leur population au KOSOVO ( 6 000 morts et 6 heures de bombardements.

  7. Les historiens se pencheront un jour sur la responsabilité de l’échec des accords de Minsk de 2014 : Ukraine, Russie, France, Allemagne, OSCE, USA ? En attendant vite la paix. Que Poutine prenne sa Crimée et son Donbass après referendum et s’arrête. Que l’Ukraine accepte de renoncer à l’OTAN et se contente d’un accord avec l’UE. Zelinsky a déjà accepté. Le problème est que Poutine estime que l’Ukraine n’existe pas ! Il va voir !

    • D’accord avec votre proposition de paix, mais vous ne comprenez pas les enjeux.
      Au delà des frontières il s’agit de deux visions du monde diamétralement opposées… et « qui se livrent une lutte à mort. » ( Karine Béchet-Golovko) .
      Dans cette lutte sociétale, j’espère que la Russie de Poutine l’emportera, sinon on est mal barrés.

      • Effrayant de  »penser » que les atrocités et les massacres sont une solution. Avez vous des enfants, une maison et une grand mère ?

    • les historiens n’existeront plus car ils n’ont plus de lecteurs! Regardez le niveau des élèves!

  8. Oui l’Ukraine est bien une nation, victime de toutes les tyrannies au fil des siècles. Religion, langue, histoire, souffrances indicibles et fort sentiment d’identité et de destin communs. Aujourd’hui il y a 1 million de patriotes en armes contre seulement 200000 soldats russes démotivés. Kiev sera un Stalingrad à l’envers. Il est vain ou odieux de prétendre décider, dans le terrible engrenage actuel, qui est coupable : mais il faut voir seulement qui est victime.

      • Porcelet russe simple d’esprit : la phrase de l’évangile est  »heureux les pauvres en esprit ». Rien à voir. Retournez à vos coloriages et taisez vous quand les grands parlent

  9. Ah oui , j’ai adoré ! livre ou prix bibliothèque rouge et or, précieusement conservé depuis 1959 , et…égaré ensuite dans les déménagements ( 25..), ou autres « incidents de parcours » : Dommage , je voulais expressément le relire depuis une quinzaine d’années, et pour mes petites-filles (aucun rapport avec les évènements en cours)…

    • Merci DM. Vous trouverez ce beau livre sur Amazon (eh oui) entre 3 et 10€. Dépêchez vous avant que l’ambassade de Russie les achète tous…

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