Dans une tribune parue, samedi, dans Le Monde, Leïla Slimani a rappelé son existence, deux ans après avoir obtenu le prix Goncourt pour son roman Chanson douce. On commençait à l’oublier un peu : il était grand temps, pour elle, de sortir du placard la boîte à musique, d’entonner la berceuse de l’antiracisme et de faire mine de gourmander Emmanuel Macron à la manière d’une nounou intransigeante. Ainsi, celle que le chef de l’État avait nommée sa représentante personnelle auprès de la Francophonie, il y a tout juste un an, n’a pas hésité à secouer un peu le couffin présidentiel.

Que reproche-t-elle à Emmanuel Macron ? De n’avoir pas mieux défendu la cause des immigrés clandestins au cours d’un échange improvisé avec un ancien combattant lui posant cette question estimée nauséabonde, le 6 novembre dernier, à l'occasion des commémorations de Verdun : "Quand mettrez-vous les sans-papiers hors de chez nous ?"

Leïla Slimani a la mine grave. Elle lève le doigt, fronce les sourcils, hausse le ton. Il y a quelque chose de pourri en ce monde. Un sujet la préoccupe. Celui de la loi française bafouée ? Que nenni ! Celui des commémorations de la Grande Guerre ? Allons donc : qui intéressent-elles, du côté de Saint-Germain-des-Prés ? Non, ce qui préoccupe Leïla Slimani, c’est que les sans-voix aient soudain le droit d'exprimer leur inquiétude à l'endroit des sans-papiers : "Emmanuel Macron aurait pu lui dire, puisqu’il faut défendre la “pensée complexe”, que l’immigration est une question ô combien complexe parce qu’elle est humaine, douloureuse, existentielle." Elle poursuit : "Ce vétéran, je le connais. Ou plutôt, je le reconnais. Cette voix amère, ce ton aigre, cette façon hautaine de cracher les syllabes lorsqu’il dit “sans-papiers”. Tous les métèques de France vous le diront, tous les Arabes, les Noirs, les sans ou avec papiers vous le confirmeront : ces propos sont de plus en plus courants."

L’écrivain connaît l’ancien combattant, elle vous le dit. Personnellement ? Non, bien sûr, il y a des tables un peu trop poisseuses autour desquelles on ne s’assoit pas. Il lui suffit de le reconnaître. Avec son béret rouge, ses gants blancs et son drapeau tricolore, cet homme a le visage du mal. Il est la figure décomplexée de la haine. Debout devant l’ossuaire de Douaumont, il incarne cette vieille France que le milieu parisien exècre et dont il faut vite tourner la page. Slimani déplore "qu'on résume les gens au vocable sans-papiers", mais elle n'hésite pas à réduire cet ancien combattant à une voix obscure et indifférenciée. Une voix qu'il faudrait faire taire. Seulement voilà, il y a des voix qui ne se taisent pas. Et qui ne se laissent pas illusionner par les berceuses médiatiques des écrivains de salon que des circonstances favorables ont artificiellement promus.

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11 novembre 2018 à 17:28

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