Quand des mouvements féministes s’égarent dans le féminisme grammatical

précieuses ridicules

L'association Osez le féminisme ! a voulu, dans un tweet, « rendre femmage » à la cinéaste Agnès Varda. Pas question d'« hommage », dont l'étymologie est sans doute trop virile. Jean Szlamowicz, normalien, agrégé, linguiste et critique de jazz, dénonce, dans Le Figaro ce prétendu féminisme qui défend bien mal sa cause. Les auteurs de ce tweet ridicule (il paraît qu'il faut dire, maintenant, les auteures ou les autrices) feraient bien de consulter son ouvrage, Le sexe et la langue. Petite grammaire du genre en français, où l'on étudie écriture inclusive, féminisation et autres stratégies militantes de la bien-pensance.

Si, à l'origine, le mot « hommage » désigne la promesse de fidélité et de dévouement d'un vassal envers son seigneur, il a rapidement pris le sens de témoignage de reconnaissance, de gratitude envers quelqu'un. Il faut avoir l'esprit tordu pour le rattacher, dans son acception actuelle, à l'homme et inventer ce néologisme. C'est, au contraire, une façon de cliver la société et d'exercer une intimidation sexiste. Qu’un mot possède la racine « homme » ne constitue en rien une injustice qu'il faudrait corriger.

D'autant plus, comme le précise le linguiste, que « la racine de hommage se fonde initialement sur celui (ou ceux) qui rend(ent) l’hommage, pas celui ou celle qui le reçoit ». Ce néologisme résulte donc à la fois d'un militantisme sectaire et d'une ignorance de la langue française. On pourrait en dire autant de termes comme « patrimoine », « patrie », du prénom « Patricia » et de bien d'autres encore, dont on a oublié depuis longtemps l'étymologie masculine. « Bref, on sexualise ainsi ce qui ne l’était pas ! » Et que dire du pronom indéfini « on », qui vient du latin « homo » : faut-il le proscrire de notre vocabulaire ?

On en vient, ainsi, à des aberrations, comme celle qui consiste à préférer les « droits humains » aux « droits de l'homme », oubliant que l'adjectif « humain » a la même origine qu'« homme » et n'est pas sans rapport avec « humus », la terre. Il faut être singulièrement stupide ou pervers pour réactiver artificiellement des racines masculines : veut-on inventer des injustices auxquelles personne n'a jamais pensé ? En s'attachant ainsi à des questions de vocabulaire, on dessert les vrais combats féministes.

Ces militantes, si soucieuses de la dignité de la femme, plutôt que de s'égarer dans un féminisme grammatical, feraient mieux de mettre toute leur énergie à combattre les véritables violences, comme les mariages forcés, l'excision, la lapidation ou même le port du voile. En 2015, Osez le féminisme ! avait connu des dissensions internes pour des propos jugés irrespectueux envers les femmes voilées. Et on n'entend pas beaucoup de féministes s'inquiéter du sort des femmes en Arabie saoudite : elles sont devenues si libres qu'une application vient d'être mise au point pour surveiller leurs déplacements.

Ces pseudo-féministes, plutôt que de s'occuper des vrais problèmes de la condition féminine, sombrent dans le ridicule. Au point qu'on peut se demander si elles ne cherchent pas à détruire tous nos repères, jusque dans le langage. Au cas où elles persisteraient dans leurs égarements, deux questions à résoudre : comment ne pas donner toujours la priorité aux femmes, dans l'expression « celles et ceux » pour remplacer « ceux », chérie par nos politiciens ? Quel mot employer pour rendre hommage à une personne qui ne se reconnaît dans aucun sexe ?

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Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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