L’ordre international est bouleversé. Les relations russo-ukrainiennes sont de plus en plus tendues. Alors qu’un certain nombre de nationalistes russes souhaitent annexer l’Ukraine sans se préoccuper de la communauté d’appartenance de son peuple, les nationalistes ukrainiens, tout en proclamant leur indépendance, sont prêts à rentrer dans l’Union européenne et l’OTAN qui ne demandent que cela. Macro-nationalisme russe ou micro-nationalisme ukrainien, on ne sort pas de l’ethnocentrisme belligène préjudiciable à l’identité profonde de la Russie comme de l’Ukraine.

La troisième voie russo-ukrainienne prophétisée par Alexandre Soljenitsyne, il y a cinquante ans, paraît la seule juste pour les deux parties. Encore faut-il que le peuple ukrainien accepte cette intégration - et non assimilation – de sa petite patrie à la grande ? L’auteur - ukrainien et russe à la fois - de L'Archipel du Goulag rappelle très personnellement, mais aussi dans un louable souci d’honnêteté historique, les ravages du communisme russe à l’égard de son propre peuple et du peuple ukrainien : « [...] Il m'est pénible d'écrire ceci, car l'Ukraine et la Russie se confondent dans mon sang, dans mon cœur et dans mes pensées. Mais une longue expérience de contacts amicaux avec les Ukrainiens dans les camps [le goulag, NDLR] m'a montré à quel point ils ont une rancune douloureuse. Notre génération n'échappera pas au paiement des erreurs de nos pères » (chapitre 2 écrit en 1968 ; publié en 1974). Et d’ajouter, avec le sens de la mesure qui le caractérise, à propos des Ukrainiens : « Nous devons leur laisser le pouvoir de décision : fédéralistes [au sein d'une association avec la Russie] ou séparatistes [autrement dit : indépendant de la Russie], quel que soit le vainqueur [autrement dit : l'opinion majoritaire]. Ne pas céder [à l'Ukraine] serait fou et cruel. Plus nous serons indulgents, patients, cohérents, plus il y aura d'espoir de rétablir l'unité à l'avenir [entre nos deux États]. Laissez-les le vivre, laissez-les le tester. Ils comprendront vite que tous les problèmes ne se résolvent pas par la séparation. »

« L'auteur de L'Archipel du Goulag est dans une position paradoxale », décrypte l'essayiste et philosophe Michel Eltchaninoff, qui vient de publier Lénine a marché sur la lune. La folle histoire des cosmistes et transhumanistes russes (Solin/Actes Sud) […] D'un côté, Soljenitsyne estime que les peuples russe et ukrainien sont fondamentalement unis par l'Histoire et le sang. De l'autre, le dissident est fondamentalement anti-impérialiste : il considère que les choses doivent se faire à partir de la base. » Un paradoxe sûrement, une contradiction certainement pas ! L’histoire est dialectique. Et Kiev, par exemple, capitale de l’Ukraine, est aussi le berceau spirituel et historique de la Russie. Or, la politique vise à la réconciliation de deux parties antagonistes en vue du bien commun. Soljenitsyne appelle donc à l’établissement d’une démocratie référendaire et de proximité où ce sont les Ukrainiens qui décident, ou non, d’intégrer le grand ensemble russe sans se départir de leur autonomie (qu’il ne faut pas confondre avec l’indépendance).

Soljenitsyne enfonce le clou dans une conférence de Toronto en 1981 : « [...] J'ai déclaré à maintes reprises et je répète ici et maintenant que personne ne peut être retenu par la force, aucun des antagonistes ne doit recourir à la coercition envers l'autre partie ou envers sa propre partie, le peuple dans son ensemble ou toute petite minorité qu'il embrasse, car chaque minorité contient, à son tour, sa propre minorité [...] Dans tous les cas, l'opinion locale doit être identifiée et appliquée. C'est pourquoi toutes les questions ne peuvent être véritablement résolues que par la population locale et non par des discussions lointaines dans les cercles d'émigrés, dont les perceptions sont déformées. »

C’est la conclusion, justement, de Vladimir Poutine, en juillet dernier, dans un article fleuve publié sur le site du Kremlin (sachant qu’il avait rencontré Soljetnytsine en septembre 2000 et que ce dernier avait réitéré sa critique assez radicale vis-à-vis de l’Occident matérialiste décadent et de la Russie post-soviétique, appelant à un retour des valeurs traditionnelles) : « Nous respectons la langue et les traditions ukrainiennes, le désir des Ukrainiens de voir leur État libre, sûr et prospère. Je suis convaincu que c’est en partenariat avec la Russie que la véritable souveraineté de l’Ukraine est possible […] Car nous sommes un seul peuple […]. Je dirai une chose : la Russie n’a jamais été et ne sera jamais « anti-Ukraine. » Et que l’Ukraine devrait-elle être ? C’est à ses citoyens de le décider. (L'intégralité du texte peut être consultée sur le site Internet de l’ambassade de Russie en France.) Acceptons-en l’augure pour les Russes et les Ukrainiens qui sont nos frères à l’est de l’Europe…

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12 février 2022 à 14:45

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37 commentaires

  1. Les relations de la Russie et de l’Ukraine sont une chose. Un dialogue venu des fins fonds d’une très longue histoire. Mais l’attitude américaine, reniant la parole donnée, de vouloir pousser l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie en est une autre. La menace communiste qui était la raison d’être de l’OTAN n’est plus. Cette « poussée » américaine est donc infondée et inamicale. Et par dessus tout inacceptable pour la Russie.

  2. Les américains ont vendu (ou donné) des armes aux ukrainiens et peut etre parmi ces armes , des armes russes pour que les ukrainiens préparent des attentats sur leur propre sol afin de créér un acte hostile en déclarant : « on nous a attaqué « . ( pour mémoire ) Les irakiens ,en 1990 avaient vider les morgues en étalant les cadavres dans les rues pour faire plus vrai .Tout est bon pour ameuter l ‘opinion internationale .

  3. Finalement c’est la même musique: Lorsque un pays veut en envahir un autre, c’est toujours par souhait de faire son bien malgré lui. Ma foi, sur la base de la langue et d’un culture partiellement commune, je suppose que vous approuveriez que la France annexe la Belgique francophone, tout comme la partie de la Suisse qui parle notre langue. Pourquoi pas le Québec. C’est pour leur bien je vous dis. Aucune intention expansionniste.

  4. les ukrainiens sont depuis toujours russes et liés a la russie il est normal que la russie n’est pas d’accord pour avoir des troupes u s en ukraine quand les russes on voulu s’implanter a cuba les americains sont intervenus et les russes ont reculé il serai normal que maintenant les americains n’implantent pas de forces militaires en ukraine

  5. En fait l’Occident veut s’accaparer ce grand pays l’Ukraine sans tirer un coup de canon, et que Poutine avec le peuple Russe, dise : « mais Oui bien sûr » !!! Pas d’OTAN ni d’euro pour l’Ukraine, et que Biden s’occupe de ses USA où il a bien des soucis, et tout entrera dans l’ordre…Que Macron s’occupe de l’U.E. d’abord, que les pays aient tous l’Euro

  6. Il faut savoir raison garder et se demander en quoi le conflit interne ukraino/russe est dommageable aux interêts de l’Europe, condition sine qua non pour justifier toute intercession ou même intervention éventuelle de l’U.E dont le Pdt Macron n’est qu’un porte parole à durée très limitée..

  7. Ma grand mère, femme de bon sens irréductible, aurait dit à Mr Macron, prétendûment représentant de l’U.E (pour 6 mois seulement …ne nous emballons pas !) : « DE QUOI JE ME MELE » ?? Et qu’est ce que ce pataquès téléguidé par Biden ???
    Le peuple ukrainien vit au sein du continent européen, soit. Mais en quoi serait il obligé de rejoindre la structure technocratique de l' »U.E » ??
    Les conflits internes de ce pays ONT ILS UN IMPACT SUR LES INTERETS DES EUROPEENS ?
    Allô Mr Macron ??

  8. En 2010, le nouveau président ukrainien Yanoukovitch refuse l’adhésion à l’Otan. Le 18 février 2014, un coup d’état (venu d’où?) met en place un gouvernement fasciste, directement inspiré par la CIA, dont la première action est de solliciter l’adhésion à l’Otan.
    Il ne faudrait pas oublier la responsabilité très active de l’Otan dans la crise actuelle…

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