[Point de vue] Intervention au Niger : la CEDEAO ne serait pas dans son rôle ?

CEDEAO

À donner des leçons politiques aux Africains, on oublie un peu vite qu'en Europe, la démocratie, pas toujours satisfaisante (notamment en France), n'a souvent été retrouvée, ou même instaurée, que récemment. En 1945 : l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie ; et la France, la Belgique, la Hollande, le Danemark, la Norvège occupés. En 1975, l'Espagne. En 1986, le Portugal. Dans les années 1990-2000 : la Pologne, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Tchéquie, la Slovaquie, la Serbie, la Croatie, la Slovénie, l'Albanie, la Bulgarie, la Roumanie, la Moldavie, la Macédoine, l'Ukraine (menacée). Quant à l'Afrique, si les indépendances ont été obtenues dans les années 60, la démocratie y est encore instable. Bien peu nombreux sont les pays qui sont démocrates, paisibles et prospères. L'Afrique de l'Ouest est, notamment, confrontée à des mouvements séditieux armés, islamistes et barbares.

Or, voici que des militaires, censés justement lutter contre l'islamisme, déclenchent des putschs et installent des juntes, pour protester contre… leur propre inefficacité dans la lute anti-islamiste ! Car c'est bien la France -  et pas l'armée malienne - qui sauva Bamako de l'assaut des rebelles en 2013. Le ressentiment anti-France, fabriqué pour les télés dans des manifestations de rues manipulées, dissimule le scenario suivant : 1) un coup de force ; 2) irruption des bandes Wagner qui consolident la junte ou le dictateur ; 3) la mise en coupe réglée de l'économie du pays et le partage des richesses (or, diamants, forêts, etc.).

Le cas du Niger, en août 2023, est plus complexe et plus aléatoire car : le président Bazoum refuse de démissionner en dépit de ses conditions de détention odieuses et dangereuses, et son gouvernement loyaliste résiste, réfugié à l'étranger et dans la clandestinité ; des chefs touaregs (une population de près de 3 millions de personnes) créent des mouvements de résistance ; l'énorme Nigeria voisin (220 millions d'habitants) coupe les trois quarts de l'électricité et ferme les frontières. Les finances publiques sont asséchées et les prix alimentaires s'emballent dans ce pays pauvre.

Le 10 août, l'organisation sous-régionale Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a annoncé de nouvelles sanctions, intimé à la junte de rendre le pouvoir au président Bazoum élu largement il y a deux ans et ordonné la mobilisation de moyens militaires des pays membres en vue d'une intervention armée si besoin est. Aussitôt, les juntes malienne et burkinabè ont déclaré qu'une telle intervention serait un acte de guerre contre elles. Et certains commentateurs ont qualifié de dangereuse pour tout le continent une telle opération militaire. Ce qui est aussi la thèse de l'Algérie.

D'autres commentateurs ont mis en doute la légalité d'une action de la CEDEAO. C'est pure ignorance. Car les troupes de la CEDEAO sont déjà intervenues pour rétablir la démocratie ou la paix civile en Gambie, au Liberia, en Guinée-Bissau. Et elles l'ont fait en pleine conformité avec les règles du traité de la CEDEAO (modifié en 1993) dont l'article 4 pose comme principes fondamentaux le « maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionales » et « la promotion et consolidation d'un système démocratique de gouvernement dans chaque État membre tel que prévu par la Déclaration de principes politiques adoptée le 6 juillet 1991 à Abuja ». Et ces règles ont été renforcées par un « protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité » (Dakar, 21 décembre 2001) signé et non dénoncé par tous les pays, notamment Burkina, Mali, Niger. Ce protocole « fait corps avec le Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité signé à Lomé le 10 décembre 1999 ».

Ce protocole est clair et ferme dès l’article 1er : « Toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes, et transparentes […] Tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir […] L’armée est apolitique et soumise à l’autorité politique régulièrement établie ; tout militaire en activité ne peut prétendre à un mandat politique électif ; tout ancien chef d’État bénéficie d’un statut spécial incluant la liberté de circulation. » Et l'article 19 : « L’armée est républicaine et au service de la nation. Sa mission est de défendre l’indépendance, l’intégrité du territoire de l’État et ses institutions démocratiques. […] L’armée et les forces de sécurité publique participent à l’ECOMOG dans les formes prévues à l’article 28 du Protocole. […] L’armée et les forces de sécurité publique sont soumises aux autorités civiles régulièrement constituées. » Et, enfin, l'article 45 : « En cas de rupture de la démocratie par quelque procédé que ce soit […], la CEDEAO peut prononcer à l’encontre de l’État concerné des sanctions […] Sur proposition du Conseil de médiation et de sécurité, il peut être décidé à un moment approprié de procéder comme il est dit à l’article 45 du Protocole. » C'est-à-dire (« Restauration de l’autorité politique », article 45) : « Dans le cas où l’autorité du gouvernement est inexistante ou est gravement érodée, la CEDEAO apporte son assistance pour restaurer cette autorité. Dans le cadre de cette assistance, elle peut procéder à la préparation, l’organisation, le suivi, la gestion des processus électoraux avec la collaboration des organisations régionales et internationales compétentes. La restauration de l'autorité politique est entreprise en même temps que la promotion du respect des droits de l’homme et le renforcement de l’État de droit et des institutions judiciaires. » On ne peut être plus clair.

Henri Temple
Henri Temple
Essayiste, chroniqueur, ex-Professeur de droit économique, expert international

Vos commentaires

22 commentaires

  1. @Pipo56 : C’est tout à fait ce que vous écrivez. Et il faut savoir que la CEDEAO même si elle intervenait c’est 6 500 militaires, jusqu’à présent….Contre la junte et les nigériens qui semblent favorables à un pouvoir transféré, la CEDEAO ne pèse pas lourd…..Ils ne sont pas fous les Russes de l’Orthodoxie, d’une civilisation millénaire, qui en a vu bien d’autres, mis deux grandes armées en déroute, surmontée le communisme, alors que nous en France dites dans les 6 pays les plus riches nous avons encore le communisme et de l’extrême gauche pour 20 % au moins, etc….

  2. Merci Monsieur Temple d’avoir apporté une pleine lumière sur les résolutions et tractations en cours : puisse l’ONU (tout comme l’U.E) en tirer les conclusions opérationnelles qui s’imposent… (?)

  3. Le Niger est la vengeance de l’Ukraine. Il y a quelques années, l’Occident (avec l’argent de l’affreux Soros) a tout fait pour renverser en Ukraine le dirigeant que la Russie avait adoubé. Réponse du berger à la bergère : la Russie, via Wagner, fait renverser le dirigeant nigérien que la France (donc, l’Occident) avait mis en place (le qualificatif « démocratiquement élu » me parait être de la propagande médiatique concernant Bazoum.

  4. Les « coloniaux » que nous sommes ont laissé cinquante huit de leurs vies, souvent jeunes, pour faire face à la barbarie en Afrique…certains lui préfèrent Wagner et « l’empire du Milieu », qui, en matière de colonialisme, ne sont là que pour la piller !

  5. Il faut vraiment manquer de discernement pour ne pas se rendre compte qu’une intervention militaire au Niger n’est ni souhaitable, ni réalisable en l’état des choses. C’est bien connu, il n’y a que les intellectuels en chaise longue à penser que le meilleur véhicule de la pensée est le tank.

    • Vous devriez lire un article avant de le commenter : l’auteur observe simplement :  »D’autres commentateurs ont mis en doute la légalité d’une action de la CEDEAO. » et il y répond en technique juridique. Tout vos supputations sont fausses et infondées.

  6. 2/ L’aspect social : la « Françafrique » est terminée – cependant qu’on ne cesse de le rabâcher, comme pour nous en convaincre. Il faut réinventer les rapports avec ces pays. Ainsi, il est toujours consternant de voir en province ces quêtes pour aller « mettre un panneau solaire » sur un puit au Sénégal. Ah, ça donne bonne conscience ! Pendant ce temps, nous perdons Djibouti, car la Chine y construit un port géant, plate-forme maritime stratégique dont elle profitera, évidemment : rien n’est gratuit. Il faut se rendre compte que les pays d’Afrique n’ont pas besoin de trois panneaux solaires, mais d’un développement sincère (rails, routes, santé, etc) et que le « pognon de dingue » serve à un développement réel au lieu qu’il parte en fumée. Mais ce n’est pas Macron qui aura cette envergure.

  7. Merci pour ce point de vue. Je confesse mon ignorance de ces articles contractuels. Cependant, il faut remarquer que la légalité historique est toujours au service du colonisateur, du plus fort. L’article ainsi méconnait plusieurs aspects : 1/ l’aspect militaire : intervenir, oui mais comment ? Le Sénégal, plus gros contingent, est à deux mille Km de Niamey, et devra passer à travers deux pays hostiles. Faudra-t-il des régiments « parachutés » ? Ou passer par le Bénin, le Nigéria, exposant alors ces pays à de futures représailles ? Comment croire alors que la France, les USA et autres, qui ont des contingents sur place, ne seront pas, loin de la neutralité qu’ils affichent, des « facilitateurs », semblables à leur action en Ukraine, qu’ils prétendent « aider » avec l’air de ne pas y toucher ? Voilà bien des efforts pour contrer une dictature (on s’en est tellement accommodé par le passé) d’un pays dont on nous dit paradoxalement qu’il « nous coûte un bras sans qu’il ait l’importance qu’on lui prête ». La Cédéao a donc la légalité pour elle de faire des morts chez les pauvres : rien d’autre que le pouvoir de créer une haine durable.

    • L’’auteur observe simplement : »D’autres commentateurs ont mis en doute la légalité d’une action de la CEDEAO. » et il y répond en technique juridique. Tout le reste n’est pas de sa compétence

  8. Niger , c’est quoi, personne n’y va en vacances sauf Hollande le Valeureux) pas de centres de vacances, pas de voitures made in Niger, etc donc ON S’EN FOUT , que les africains (tous) rentrent chez eux et règlent leurs problèmes entre eux.

  9. Je pense que personne ne doit se meler des affaires internes au Niger. Ni la cedeao ni les pays occidentaux.
    Si une majeure partie de la population soutien le putsch et ça a l air d etre le cas alors ce n est pas pire qu un president soit disant élu démocratiquement …On veut donner des leçons a tout le monde mais un jour a force de deliquessence de la France c est chez nous qu on aura droit a un putsch et il sera certainement bien acceuilli egalement par une majorité de la population ….

  10. il faut que les occidentaux arrêtent de piller l’Afrique avec des présidents bien « arrosés  » !! l’Afrique est riche, mais les peuples africains crèvent de faim ! pensez-vous qu’il n’y a pas un problème de ce coté là !!

  11. Ce qui est navrant, c’est qu’on n’en serait pas là s’il n’y avait pas eu la décolonisation de l’Afrique.
    La décolonisation de l’Afrique est la cause première de tous les drames que vit l’Afrique et, par ricochet, l’Europe avec une invasion migratoire insoutenable.
    Il serait grand temps de reconnaître à la colonisation son œuvre pacificatrice et civilisatrice.

    • Il « suffit » de regarder les lignes droites qui « délimitent » les frontières en Afrique pour comprendre qu’une frontière n’est pas « droite » surtout lorsque les ethnies sont nomades ! …
      Ce que vous dites en termes de « légitimités de la colonisation » donne une perspective de ce qu’est devenue la politique diplomatique internationale § … Allez tenir ces propos aux amérindiens, aux aborigènes et aux nations de l’Amérique du SUD ! …

      Les USA se sont auto proclamé « les arbitres du Monde » en allant faire des interventions dans tous les coins de la planète avec des résultats douteux pour le moins et surtout des méthodes particulières … Les mondialistes interfèrent tout de suite après pour y développer leur idéologie financière sans aucuns scrupules …

      Rien ne sera réglé au Niger et seule la question essentielle doit être résolue: à qui profite le « crime » ? …

    • A qui la faute ? Vous connaissez le grand colonel auto proclamé général, qui a prétendu avoir sauver la France et qui a fustigé ceux qui étaient venus nous sortir de la m.. ? Il a précipité toute l’Afrique dans la misère et tous les français qui y étaient dans le désarroi. Et on continue de le vénérer. Décidément, plus stupide qu’un français, même en prenant des cours on n’y arriverait pas.

  12. M. Temple est certainement un éminent juriste, ainsi que l’illustre son argumentaire relatif à la CEDEAO, mais cette réflexion, aussi inattaquable soit-elle s’agissant des fondements légaux, est hors sujet.
    L’Afrique est entrée pour longtemps dans une période de turbulences et certainement de bouleversements inévitables.
    Les frontières actuelles, comme les formes de gouvernement des pays qui la constituent, héritées de la période coloniale, sont inadaptées et disparaîtront nécessairement pour qu’émergent de nouveaux paysages humains et politiques.
    Le président Bazoum a aussi été renversé parce les ethnies noires majoritaires au Niger n’acceptent pas qu’un touareg les dirige, réalité qui dérange en Europe, mais qui est au cœur de la réalité africaine.
    L’entrée immédiate en rébellion des tribus touarègues nigérienne à la suite du putsch le montre assez.
    Il ne faut surtout pas que la France se mêle de ces convulsions africaines.
    Non seulement parce qu’elle n’a aucune légitimité pour s’ingérer dans ces affaires qui nous sont étrangères, mais surtout parce que cela va directement à l’encontre de nos intérêts.
    Pour mémoire, l’uranium en provenance du Niger, ce n’est que 10% de celui dont nous avons besoin : le déficit éventuel peut être facilement comblé auprès de nos autres fournisseurs et il suffirait de changer de politique pour exploiter celui qui se trouve dans notre sous-sol.
    Aucun soldat français ne devrait plus jamais mourir pour permettre à nos politiciens de prétendre, sans cohérence et sans vision, jouer un rôle en Afrique.
    Quant au risque migratoire invoqué comme prétexte à intervention, il n’existe que parce que nos mêmes politiciens corrompus et autoritaires, contre l’avis unanime des peuples d’Europe, poursuivent une délirante politique d’immigration massive.
    Simplement parce que c’est le credo au cœur de la mondialisation à la sauce anglo-saxonne et de son hyper-capitalisme débridé, ainsi que le plus corrosif des acides destinés à dissoudre les nations.
    Quant au risque terroriste invoqué en parallèle, il procède essentiellement de la même politique migratoire, couplée à la volonté farouche des dirigeants européens de dissimuler la réalité totalitaire et intolérante de l’islam.

    •  »cette réflexion, aussi inattaquable soit-elle s’agissant des fondements légaux, est hors sujet. » Non elle est en plein dans sujet nettement défini et délimité : » » L’’auteur observe simplement : D’autres commentateurs ont mis en doute la légalité d’une action de la CEDEAO. » et il y répond en technique juridique. Tout le reste n’est pas de sa compétence.

  13. Faut -il comprendre que l’auteur de ces lignes est partisan d’une intervention armée de la CEDAO (soutenue par les occidentaux – c’est très cher une guerre) contre le Niger de la même façon qu’il justifie encore aujourd’hui la guerre en Ukraine ? Toujours la même chanson pitoyable du Bien (occidental) contre le Mal (reste du monde). Ce qui se passe au Niger ne regarde que les nigériens. Ces occidentaux qui on sabordé toutes les initiatives de paix en Ukraine (cf révélations de naftali Bennett, intervention de Boris Johnson…) , qui poussent à la mort la jeunesse ukrainienne, veulent encore faire couler plus de sang.

    • Faire couler du sang et surtout vendre des armes…
      La main mise de ceux qui se prétendent le « camps du bien » est en Afrique une cruelle caricature de ce qui ce passe en occident : la tentative de nettoyage des cerveaux au profit d’une consommation destructrice…

    • Enfin une réflexion que je partage tout à fait. Qu’irions-nous faire au Niger ? Les africains fiers de leur indépendance règleront leur problème comme ils l’entendent. Quant à l’Ukraine, oui, cette guerre ne nous concerne pas puisqu’il s’agit d’un conflit russo-russe. Que les dirigeants s’occupent des problèmes des français au lieu de s’occuper des problèmes des autres.

    • Pour quoi chercher à interpréter ce qui n’est pas dit ? L’’auteur observe simplement :  »D’autres commentateurs ont mis en doute la légalité d’une action de la CEDEAO. » et il y répond en technique juridique à une erreur juridique. Tout le reste n’est pas de sa compétence.

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