[POINT DE VUE] Des crimes de Mao à la botte américaine

Lu Shaye

En interrogeant Lu Shaye, ambassadeur chinois en France, le journaliste de TF1 Darius Rochebin espérait-il accéder au fameux « quart d’heure de célébrité » jadis théorisé par Andy Warhol ? C’est à croire. Ainsi lui a-t-il demandé à plusieurs reprises de faire acte de repentance quant aux crimes de masse autrefois perpétrés par le Grand Timonier. En vain, évidemment.

Mais à quoi pouvait s’attendre cet Iranien d’origine devenu helvète ? Que le représentant de la deuxième puissance économique au monde – en attendant d’en devenir la première – crache sur son propre pays ? À question provocatrice, réponse provocatrice : ce sont, pour le Chinois, « des racontars ». Autrefois, les Iraniens faisaient preuve d’un peu plus de subtilité et les Suisses d’au moins autant de neutralité.

Il n’y a certes pas de mal à se faire du bien. Mais après ? Après, ce qui est flagrant, c’est l’arrogance de ce journaliste. Oserait-il faire preuve du même aplomb en exigeant de l’ambassadeur américain en France des comptes sur cet autre fait historique avéré : les USA se sont aussi construits sur les massacres de masse de ces allogènes pour lequel le Grand Remplacement n’était pas que vue de l’esprit ? Quant aux famines et aux guerres d’extermination organisées par les Anglais contre les Irlandais, il serait parfaitement incongru de les évoquer devant le nouveau roi, Charles III. De même, on pourrait retourner la question à nos dirigeants hexagonaux : notre république droit-de-l’hommesque, régime instauré par la violence et d’autres massacres de masse, s’étant maintenue au pouvoir par la tyrannie avant d’aboutir à la dictature napoléonienne serait-elle exempte de tous reproches ?

Pis : sans la Révolution française et ses théoriciens, il n’y aurait peut-être pas eu de Lénine, de Staline, de Trotski, de Pol Pot et de Mao. Les dirigeants chinois, qui ont le sens de la mémoire longue, savent tout cela. Tout comme Lu Shaye n’ignore pas que le maoïsme ne fut pas qu’un chemin de roses. Mais, en bon patriote, il assume son propre roman national, tout comme nous étions encore naguère capables de le faire, en y incluant Saint-Just, Robespierre et même Jules Ferry.

En revanche, devant des journalistes plus courtois et respectueux des usages diplomatiques, ceux d’Éléments en février dernier, par exemple, le même Lu Shaye peut lui aussi faire preuve de lucidité. En cette occasion, il n’est pas là pour remuer les monceaux de cadavres du passé, préférant évoquer le présent tout en tentant d’anticiper l’avenir. À propos de la martiale déclaration de l’amiral Charles Richard, commandant stratégique du Pentagone, « la grande guerre arrive », celle de moins en moins larvée, que les USA mènent contre l’empire du Milieu, il a cette réponse à méditer : « Ces propos sont dangereux et trahissent surtout la pensée profonde des élites américaines de vouloir créer des troubles, des conflits et des guerres partout dans le monde. Plus il y a de guerres, plus les Américains se sentent en sécurité ! Jamais chez eux, toujours chez les autres ! »

Une illustration de la politique chinoise visant à l’avènement d’un monde multipolaire qui ne serait plus à la botte américaine, par ailleurs en voie de délitement. Est-il faux de penser que les les USA entendent nous entraîner dans un conflit contre la Chine, qui serait « l’ennemi systémique de l’Europe » – ce qu’Emmanuel Macron a par ailleurs noté, dans un de ses moments de lucidité ? Et Lu Shaye a-t-il tort quand il dit « l’Amérique n’est pas l’alliée de la France, c’est plutôt elle, votre rival systémique » ?

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

12 commentaires

  1. Evidemment qu’on ne peut pas attendre d’un ambassadeur Chinois qu’il crache sur son propre pays. En revanche on trouve beaucoup de Français qui crachent sur le leur, et il s’en trouve un nombre significatif par ici..

  2. Ce qui est  »consternant » (mot utilisé par la Ministre des Affaires Etrangères), c’est l’attitude du journaliste tout au long de l’interview de LCI, d’une rare agressivité, d’une impolitesse vis à vis d’un ambassadeur d’un pays étranger qui fait l’effort de parler dans notre langue. Qui est-il ce journaliste pour se comporter de cette manière, d’autant plus que ce n’est pas la 1ère fois qu’il le fait ? Voudrait il donner des gages de bonne conduite ? excuser des erreurs passées ? montrer qu’il est dans le camp du bien ?

  3. Je n’aime pas la conclusion. On ne peut, malgré tous les défauts des uns et des autres, renvoyer dos à dos la Chine et les Etats-Unis. Entre une démocratie et une dictature le choix est vite fait. Mais on peut regretter le manque d’autonomie stratégique de l’Europe. Depuis 30 ans les Européens ont eu le temps de construire une alliance puissante, indépendante de l’OTAN. Ils ne l’ont pas fait; principalement parce que cela aurait couté beaucoup plus cher. Maintenant que la tempête est déclenchée, il n’y a pas d’autre choix que de se cramponner à ce qui existe.

    • Quelques éléments pour vous répondre. 1/Cette conclusion n’est pas très éloignée de la pensée de De Gaulle et de Mitterrand, qui savaient, eux, à quoi s’en tenir à l’endroit des Américains. Des alliés « très particuliers » très envahissants, très encombrants et surtout très « intéressés ». 2/Démocratie/Dictature : ce n’est pas le sujet. Et c’est très relatif, convenez en. Les peuples ont les dirigeants qu’ils méritent. Et nous voyons bien les résultats obtenus par les Américains, quand ils veulent faire régner LA démocratie partout ….. 3/ »les Européens ont eu le temps de construire une alliance puissante, indépendante de l’OTAN. Ils ne l’ont pas fait; principalement parce que cela aurait couté beaucoup plus cher ». Là vous êtes complètement à côté de la plaque. Vous ignorez a/le rôle des bonnes fées américaines penchées sur le berceau des institutions européennes à leur naissance 2/la volonté acharnée de l’Allemagne de rester sous parapluie américain (relire l’affaire du préambule plaqué sur le Traité de l’Elysée) L’Europe a été construite pour être une NON PUISSANCE et tout a été fait, et l’est encore, pour qu’elle le reste. Quand Macron pense pouvoir instaurer une autonomie stratégique européenne, il rêve. Les Allemands restent accrochés aux US (cf affaire Nordstream) et la France est bien trop affaiblie pour peser suffisamment sur l’UE.

  4. Il faudrait peut-être montrer un peu plus de compassion à nos journalistes des services publics et subventionnés de la propagande. Ils semblerait bien que leur guerre en Ukraine soit perdue et que dans leur désespoir ils se laissent aller à dépasser les limites de la politesse envers un diplomate étranger.

  5. Je trouve que l’Ambassadeur chinois à Paris a été très patient pour répondre au journaliste de TF1. Moi, j’aurai quitter le studio et cela aurait clôt l’interview. En tout cas, la prochaine fois que ce présentateur tv, fera un interview avec un responsable de la RPC, ce journaliste de TF1 aura des réponses concernant les affaires de harcèlements sexuels dont il a fait l’objet durant sa longue période de présentateur sur la chaine RTVS en suisse. La France n’a pas le monopole de la moraline des plateaux TV.

  6. L’histoire s’écrit au présent et de l’arrière cour de chacun. Si 1789 marque une césure ce n’est sûrement pas dans le domaine de la violence politique. Insister sur celle d’ après n’exonère en rien la précédente. On rappellera donc les actes de l’ancien régime qui frôlent le meurtre de masse. De la répression des albigeois en siège de la Rochelle en passant par les innombrables jacqueries écrasées dans le sang. Sans oublier les trois ou quatre soudards de Clovis le quatorzième du nom qui avec panache au chapeau se chargèrent des parpaillots ou des gueux du Vivarais. Un bilan globalement positif en quelque sorte.

  7. « l’ennemi systémique de l’Europe »
    l’Europe n’a pas besoin d’ennemis. Ceux qui la dirigent oeuvrant chaque jour à son affaiblissement et à la rendre toujours plus dépendante de l’extérieur, tout adversaire potentiel n’a qu’à attendre qu’elle finisse elle-meme de s’autodetruire.

  8. Lu Shaye est un diplomate qui mesure la valeur des mots en faisant preuve de beaucoup de retenue et de calme face aux journalistes, c’est un homme conscient de ses responsabilités…ce qui manque à nos politiques.

    • Nos politiques sont des petits garçons et des petites filles qui croient jouer dans la cour des grands

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