« Non, la province n’est pas synonyme d’étroitesse d’esprit et de repli sur soi. »

Près d’un million et demi de visites pour la plate-forme Les Amoureux de la France. Un succès ?

Un bon début. Une vraie curiosité. Un essai qu’il faut transformer, comme on dit en terre de rugby. Mais pour cela, il nous faut entrer dans le concret, nous frotter au réel, à ces faits tellement têtus. J’ai souvent le sentiment que, faute d’avoir une vraie expérience des exécutifs – et donc du pouvoir -, nous avons tendance à nous réfugier dans les abstractions, les discours, les déclarations plus ou moins péremptoires. Or, au risque de me répéter, je suis convaincu que nos concitoyens attendent de nous que nous sachions tenir les deux bouts de la ficelle : être fermes sur nos convictions et faire des propositions qui tiennent la route. Il n’y aurait rien de pire que d’arriver aux responsabilités et de décevoir ou de trahir.

Mais concrètement ?

Prenons, par exemple, ce qui revient le plus souvent quand mes administrés viennent me voir. Je veux parler de ces incivilités qui pourrissent la vie de millions de Français bien davantage que le grand banditisme ou le terrorisme islamiste. Que faire face à des familles qui se comportent de façon insupportable : déchets jetés par la fenêtre, cage d’escalier maculée de graffitis, hurlements à toutes heures du jour et de la nuit, enfants laissés à l’abandon, insultes à quiconque oserait leur faire une remontrance… Leur envoyer la médiation, la police ? Mais ils s’en moquent totalement. Il faut taper là où cela fait mal. C’est-à-dire pouvoir les priver momentanément des allocations logement. À la deuxième ou troisième main courante, plus d’APL !

Mais pourquoi ne pas le faire, si c’est la solution ?

D’abord parce qu’on ne le peut pas. Et qu’aucun élu ou presque ne défend publiquement une telle mesure alors qu’en privé, ils y sont favorables. Mais la peur d’être montrés du doigt, la frousse d’être pris à partie par des médias… Trop souvent, ils tremblent devant un localier, un échotier, véritable chien de garde du bien-pensant. Quand ils ne se sentent pas ringardisés, méprisés, humiliés par cette petite caste pour qui un passage par HEC ou Rothschild vaut toutes les expériences du monde…

D’accord, mais il y a des problèmes autrement importants pour qui aspire à diriger ce pays !

Bien sûr qu’il y a d’autres problèmes, mais ce que j’essaie de vous dire, avec cet exemple, c’est que nous devons mettre en place une nouvelle méthode. Il nous faut partir du concret. Comme il nous faut partir de la base militante. Comme il nous faut partir de la commune. C’est à cette véritable révolution que nous devons nous atteler. Ne plus penser à partir de Paris. Ne plus penser à partir des partis. Ne plus penser à partir des experts. Mais, au contraire, cultiver la France d’en bas, écouter cette France qui ne se résume pas à Paris et une quinzaine de métropoles régionales, cette France des villes moyennes, des bourgs et des villages, cette France qui a un autre horizon qu’un périphérique…

"Cette France d’en bas qui est bien lasse des frasques de la France d’en haut" dont parle Michel Onfray ?

Exactement. Je suis convaincu que c’est à partir de nos communes que nous pourrons bousculer cet ordre établi qui est un ordre si injuste pour les plus démunis. Ce n’est pas un hasard si le maire est le plus populaire des politiques. Ce n’est pas un hasard si nos « élites » veulent réduire le nombre de nos communes alors que ces 35.000 collectivités et leurs centaines de milliers d’élus bénévoles sont une chance pour notre pays. Notre classe politique ne rêve que de destin national, de parler parisien. Au fond, aux yeux de l’immense majorité de ceux qui nous dirigent, toutes tendances confondues, la province est synonyme d’étroitesse d’esprit, de médiocrité, de repli sur soi. Nous sommes des ploucs. Et pas besoin d’aller dans la capitale pour ressentir ce mépris. Les métropoles régionales – qui ont voté massivement pour les candidats d’Emmanuel Macron aux législatives – se prennent pour de petits Paris et beaucoup de leurs notables se pincent le nez quand ils doivent arpenter leur arrière-pays, chaussés chez Loake ou Weston.

Mais, encore une fois, comment bâtir cette opposition à un chef de l’État qui ne semble préoccupé que par la France qui gagne ?

Évitons les malentendus : je n’ai rien contre la France qui gagne. Je suis fier du succès de nos entrepreneurs, de nos artistes, de nos chercheurs, de nos sportifs. Je ne me lève pas tous les matins en récitant la prière du réac qui se lamente sur l’air du « Tout était mieux avant ». Au contraire, c’est parce qu’il nous faut une France qui garde son rang que je crois nécessaire de construire une alternative à Emmanuel Macron, apôtre d’un monde globalisé, uniformisé – « Il n’y a pas de culture française », disait-il –, déshumanisé – les enfants finiront bien par naître réellement dans les choux, au train où vont les choses… – et dur, très dur pour ceux qui n’appartiendront pas au clan des nouveaux happy few. Mais pour que cette alternative ait une chance, un jour, de l’emporter, il nous faut un programme convaincant et quelqu’un pour l’incarner. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Je ne vois pas, dans les visages connus, qui a la trempe, l’aura, le charisme…

Vous attendez l’homme providentiel ?

Et d’abord, pourquoi pas une femme ? Non, je ne crois pas au retour d’une droite bonapartiste, d’une droite césarienne. Je suis persuadé qu’il nous faut repartir du vécu des gens, de leur quotidien et qu’alors nous trouverons la personne idoine le moment venu. L’heure est à la remise à plat de toutes nos certitudes. Pas pour nous adapter à l’air du temps, pas pour renoncer à notre volonté de changer la vie de nos concitoyens, mais pour gagner. L’important n’est pas de participer à une élection mais de l’emporter ! Je ne crois pas au Grand Soir mais à la construction d’un vaste rassemblement issu de nos provinces, non pour conquérir Paris mais pour redonner le pouvoir à ce peuple, à ce petit peuple qui en a été dépouillé.

Les prochains rendez-vous des Amoureux de la France ?

Le lundi 27 novembre à Tours pour la première étape d’un périple en France qui passera d’ailleurs par Béziers. Et puis, nous nous retrouverons le 12 décembre, à Paris, lors d’un dîner-débat avec la Droite libre de Christian Vanneste à la brasserie Jenny, 39, boulevard du Temple, dans le 3e arrondissement.

Robert Ménard
Robert Ménard
Maire de Béziers, ancien journaliste, fondateur de Reporters sans frontières et de Boulevard Voltaire

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois