[LIVRE] Louis XIV et Molière : le plaisir, le talent et la gloire de la France

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C’est une étrange histoire que conte Laurent Dandrieu, journaliste et écrivain, dans Le Roi et l’Arlequin : Louis XIV, Molière et le théâtre du pouvoir (Artège), celle du compagnonnage tout au long d’une vie entre un saltimbanque et le plus grand des monarques de son temps.

Au fond, Molière n’était pas seulement un homme de théâtre et Louis XIV pas qu’un homme de pouvoir. L’un exerça un temps la tâche héritée de son père de valet tapissier du roi, l’autre aima la danse et les arts plus que de raison avant d’émettre les rayons du Roi-Soleil. La collaboration entre ces deux amoureux des arts se noue le 24 octobre 1658 au soir. La troupe de onze comédiens pilotée par Molière s’est fait applaudir un peu partout en France, notamment à Lyon. Mais, hier comme aujourd’hui, tout se passe à Paris. Les comédiens ont obtenu une soirée à Versailles. « Une fois obtenue l’invitation à se produire devant le roi, il fallait faire vite car le 26 octobre, Louis quitterait la capitale pour de longs mois, devant se rendre à Lyon pour y rencontrer une potentielle épouse, Marguerite de Savoie », raconte Laurent Dandrieu.

Le tout pour le tout

Molière jouera Nicomède, tragédie écrite par Corneille, dans le cadre prestigieux du Louvre. Il a 36 ans. L’accueil fut « poli mais guère enthousiaste », précise l’auteur. C’est alors que Molière joue le tout pour le tout : il réclame au roi de pouvoir jouer une deuxième pièce dans la foulée. Non plus une tragédie, mais une farce, Le Docteur amoureux. Le roi rit « à s’en tenir les côtés ». Le lendemain, la troupe est autorisée à se présenter comme celle de « Monsieur, frère unique du roi ». Le début d’une carrière qui portera la gloire de Molière, jusqu’à aujourd’hui. Le prince du théâtre français donnera des centaines de représentations devant Louis XIV qui revient voir jusqu’à cinq fois une pièce qu’il a particulièrement appréciée.

Où et comment Molière a-t-il acquis son talent ? Enfant de la balle, homme de cour ? On ignore à peu près tout du bain culturel et social dans lequel son génie a grandi. On sait qu’il étudia au collège parisien de Clermont, devenu aujourd’hui le lycée Louis-le-Grand, vêtu d’une soutane noire et coiffé d’un bonnet carré, parmi les fils de la noblesse et de la grande bourgeoisie. Mais Paris n’a pas reconnu immédiatement le talent de cet artiste impécunieux, deux fois emprisonné pour dettes à la prison du Grand Châtelet en 1645.

Il fallait que le roi s’en mêle. Louis XIV cède depuis tout jeune aux charmes de la représentation théâtrale. « Louis n’hésitait pas à se rendre dans les théâtres parisiens pour assister à leurs représentations », écrit Dandrieu. Fou de comédie italienne comme il était fou de danse, Louis XIV attendait son grand auteur de théâtre. La monarchie a cela de supérieur à la République qu’elle rémunéra bien souvent les heureux élus d'une gloire éternelle, outre les biens matériels, les talents qui l’approchèrent.

Comme la Terre tourne autour du Soleil, tout tourne autour de Louis XIV. On a oublié que Molière fut contraint, à la mort de son père, de reprendre la charge de valet du roi, dont il s’acquitta un temps. « La charge de tapissier ordinaire du roi permettait à celui qui l’exerçait d’avoir, tous les matins de son trimestre, accès au lever du roi », précise Laurent Dandrieu. Molière assiste ainsi, parmi quelques privilégiés du royaume, à la toilette, au petit déjeuner et à l’habillage du roi.

L’amour de la scène chevillé au corps

Il continuera jusqu’à la fin à dialoguer avec Louis XIV, notamment en lui dédicaçant ses pièces. Courtisan, Molière ? C’est plus subtil. Laurent Dandrieu glisse cette courte analyse des rapports au roi, très différents, entre Molière et le fabuliste La Fontaine. « Molière et La Fontaine étaient liés par une solide amitié, qui ne les empêcha pas de suivre ensuite des voies divergentes, écrit Dandrieu. Plus lié à Fouquet que ne l’était le comédien, La Fontaine lui resta fidèle et paya cette fidélité d’un éloignement consenti de la cour et des prébendes. »

Molière tiendra jusqu’au bout cette fidélité, fondée sur un intérêt réciproque mais aussi sur une communauté de goûts. Lui qui aurait pu vivre de ses seuls revenus d’auteur et de directeur de théâtre avait l’amour de la scène chevillé au corps, dût-il y laisser la santé. Le 10 février 1673, Molière crée Le Malade imaginaire, écrit et monté en un temps record, pour la ville et non pour la cour. C’est un triomphe. Mais la maladie respiratoire de Molière n’a rien d’imaginaire. Le 17 février 1773, cet immense acteur joue le rôle pour la quatrième fois quand « les spectateurs eux-mêmes s’aperçurent qu’il ne jouait plus la maladie », raconte Dandrieu. Il demande un prêtre et rend son dernier souffle. Il est 22 heures. Né seize ans après Molière, Louis XIV lui survivra plu de trente ans. Pour l’homme de théâtre, Louis XIV fut plus qu’un mécène, conclut Dandrieu. « Il fut aussi et sans doute d’abord celui qui l’obligea à se surpasser, à hausser toujours ses exigences […], à se renouveler sans cesse, à toujours plus d’audace, toujours plus d’inventivité, toujours plus de courage aussi. » Laurent Dandrieu signe une plongée éclairante et subtile dans l’âme et l’art de deux virtuoses qui ont légué leur gloire à la France. Aussi loin que possible de l’art contemporain d’État, celui qui produisit par exemple la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, le 27 juillet dernier... À lire d'urgence.

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Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

Un commentaire

  1. C’est un livre effectivement que je recommande. Un régal. Dandrieu nous transporte vraiment dans cette époque de ces deux « amoureux des arts » pour en comprendre la psychologie tant dans le caractère que dans leur intérêt mutuel.

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