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Raphaël Dargent est un historien précieux. Parce qu’il continue de croire que l’Histoire est un objet littéraire : il a du style et, dans toutes les biographies qu’il a signées, s’échine à le prouver. Ensuite, parce qu’il ne verse jamais dans l’anachronisme. À cet égard, son Catherine de Médicis était éloquent : en plus d’un épouvantable massacre, il osait voir dans la Saint-Barthélemy un acte politique qui, à l’aune des fureurs de l’époque, pouvait se justifier. Il l’analysait froidement, sans tomber dans le manichéisme que nombre de ses confrères adoptent dans un subtil mélange de paresse et d’idéologie.

Il est revenu récemment avec un Eugénie. L’oubli auquel elle semblait vouée est injuste, dit-il. En effet, du temps de Sedan et jusqu’à la fin du siècle, la figure de l’Espagnole avait cristallisé la haine des ennemis du régime. Pour ces derniers, elle était une nouvelle Marie-Antoinette, obsédée par ses toilettes quand le peuple – celui, bon, qui votait à gauche – manquait de pain et ne jouissait pas de la liberté de la presse.

Il ne s’agit certes pas d’une hagiographie. Dargent n’est pas tendre avec son sujet. Quoique "très grande, très blanche, prodigieusement belle, avec les cheveux qu’aimait Le Titien", c’est encore une femme bornée et, plus grave, de tête. Issue d’une noble famille, elle a eu pour éducateurs – excusez du peu – Mérimée et Stendhal. Elle grandit dans le culte du Corse intrépide ; sa rencontre avec le neveu, en 1849, n’est pas le fruit du hasard. Dargent raconte abondamment les fastes du mariage et de la fête impériale. La princesse Mathilde, Plon-Plon et, avec eux, tous les rieurs et les mécontents méprisent celle que, dans les faubourgs et les salons, on peint en cocotte, quand ce n’est pas en grenouille de bénitier. Il est vrai que, flanquée de la radieuse Pauline de Metternich, elle fait parfois de Saint-Cloud un Petit Trianon. En 1856, elle donne un héritier à son étrange mari. La mission est accomplie ; c’est le début des problèmes. Lunatique, Napoléon III multiplie alors les erreurs. Les guerres de Crimée et d’Italie, victorieuses, ont plongé l’Europe dans l’angoisse ; la libéralisation du régime permet aux républicains, ultra-minoritaires, de faire de l’agit-prop ; les triomphaux plébiscites n’endiguent pas les forces désireuses d’instaurer une démocratie de synthèse. Jamais, de Marengo à Reichshoffen, les Bonaparte ne parvinrent à intégrer la famille des rois. Aucun Austerlitz ne pouvait effacer leur obscur lignage ; pour durer, il leur fallait vaincre, toujours.

La faute, capitale, d’Eugénie fut de promouvoir l’expédition du Mexique, cette lubie qui isola la France sur le plan diplomatique, coûta fort cher et révéla au monde l’impréparation de notre armée. L’impératrice était courageuse ; sa correspondance dévoile un caractère racé ; mais devait-elle siéger au Conseil privé ? Son influence y fut globalement néfaste. Quand vint l’heure décisive, en 1870, elle ne fit guère mieux que Marie-Louise ; en empêchant le retour de l’empereur à Paris après le désastre aux frontières, elle précipita même la chute du régime. « Plutôt mourir que de vivre déshonoré » était sa devise : fors l’honneur, tout était perdu. Eugénie n’est pas pour rien dans cette issue.

Dargent, qui connaît parfaitement la période, brosse un brillant portrait de l’impératrice. Et si l’on sort de cette lecture sans l’admirer davantage, on s’incline devant son patriotisme.

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01 septembre 2018 à 19:01

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