Les « cours criminelles » : une régression démocratique

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Ce pouvoir n'en fait qu'à sa tête. Quand il ne la perd pas, il en use mal.

La répétition pour une bonne cause est admissible. Même quand tout paraît joué et plié.

Le garde des Sceaux ne dévie malheureusement pas de sa route.

À partir du mois de septembre, dans sept départements, sera instaurée une nouvelle forme de justice, si on peut dire. Une cour criminelle composée de cinq magistrats honoraires jugera en un jour des majeurs non récidivistes, notamment pour les crimes de viol et de vol à main armée avec des sanctions de quinze à vingt ans de réclusion criminelle. Les cours d'assises avec des jurés populaires seront maintenues pour les affaires dépassant ce quantum.

Il convient de résister à la résignation liée au fait que l'expérience durera trois ans et qu'elle pourrait donc être, en principe, abolie à l'issue de cette période.

Il ne faut pas se leurrer sur la dénonciation unanime des avocats, celle-ci étant probablement inspirée certes par le mauvais coup porté à la justice criminelle mais aussi, peut-être, par la crainte que des magistrats seuls soient moins sensibles à leur argumentation et plus enclins à suivre les réquisitions de l'accusation.

Il serait imprudent de s'abriter derrière les prétextes de rationalisation et réduction des correctionnalisations (des dossiers dont on aurait occulté l'élément criminel pour les faire juger par des tribunaux correctionnels).

Il serait dangereux de faire fond sur l'approbation de cette réforme par l'Union syndicale des magistrats (USM) dont l'excellent secrétaire général Jacky Coulon a loué pourtant les avancées techniques sans en cibler la formidable régression démocratique (Le Figaro). Je n'ai jamais considéré que l'aval ou non du syndicalisme judiciaire à un projet était un gage de son utilité et de sa qualité.

En réalité, derrière ces apparences, la cour criminelle est instituée avec une brutalité dont la finalité, si on ne se paie pas de faux-semblants, est d'annuler le jury populaire, de faire disparaître les citoyens pour l'appréciation de dossiers à la gravité certaine et qui, notamment pour les viols, auraient dû appeler plus que jamais la présence de femmes et d'hommes à l'esprit libre et curieux et à la sensibilité vive. Surtout à la suite de ce qui est devenu une grande cause nationale. On veut que les citoyens s'indignent socialement mais on leur interdit de tenir leur rôle sur le plan judiciaire. Une aberration !

Devant la cour criminelle, l'oralité des débats, richesse irremplaçable d'une procédure criminelle qui avait été élaborée pour que le peuple y joue un rôle décisif, va se voir naturellement remplacée par un dialogue bureaucratique, rapide s'il n'est pas expéditif.

La tendance que j'ai dénoncée à plusieurs reprises visant à aseptiser la cour d'assises en la dégradant de plus en plus en une « super correctionnelle » va se concrétiser encore davantage et je crains fort que cette évolution ne soit sans retour parce que, globalement, il y a un confort des décrets d'autorité.

Et une envie irrésistible de se débarrasser de la complexité des situations humaines, des ombres et des lumières, de l'infinie lenteur psychologique et intellectuelle d'une Justice n'ayant pas perdu ses lettres de noblesse populaire.

Je ne peux, une nouvelle fois, sans narcissisme mais avec la conviction forte que ma solidarité rare mais résolue avec le barreau est un signe de la pertinence de notre opposition, que renvoyer à mon billet du 12 mars 2018.

On a tous les droits quand la raison et la démocratie sont de votre côté.

D'autant plus que j'ai peur : un jour, il pourrait bien ne rester que la cour criminelle. Le peuple, même partiel, serait encore de trop.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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