Les acquis sociaux seront-ils rognés avec la crise sanitaire ?
Au-delà de la crise sanitaire effrayante qui risque malheureusement de conduire à la mort de nombreux Français se profile une crise économique d’envergure provoquée par le confinement et l’arrêt de la production des marchandises non essentielles. Pour essayer de la conjurer, le gouvernement vient de déposer en urgence un projet de loi lui permettant de se passer du Parlement et de légiférer par ordonnances.
Il s’agit d’une particularité de la Constitution française qui autorise, dans certains cas très encadrés, le pouvoir exécutif à contourner le pouvoir législatif. Suivant l’article 38 de la Constitution, les deux chambres doivent, au préalable, autoriser le gouvernement à signer des ordonnances en adoptant une loi d’habilitation qui fixe le cadre général de ces décrets et la durée de leur validité. Une fois ce sésame obtenu, le gouvernement prend des ordonnances qui entrent immédiatement en vigueur. Sous peine de devenir caduques, elles doivent néanmoins être ensuite ratifiées par le Parlement dans un délai fixé (actuellement, il est souvent de quatre ans). Il ne s’agit donc pas d’un blanc-seing total des chambres au gouvernement, surtout depuis la réforme de 2008, la ratification devant être expresse et non implicite comme autrefois.
Dans le cas présent, le gouvernement Philippe a déjà obtenu du Sénat l’autorisation de légiférer par ordonnances dans le domaine des acquis sociaux. Pour les congés payés, les employeurs n’auront plus à respecter un délai d’un mois avant d’imposer des vacances ; en clair, cette nouvelle disposition leur permettra d’obliger leurs salariés à prendre leurs congés pendant la période de confinement. Certes, les employés gagneront 100 % de leur salaire au lieu de 84 % quand ils sont en chômage partiel, mais ils auront une à deux semaines de vacances en moins. La situation est exceptionnelle et grave et la nation proche de faire faillite, on pourrait donc comprendre qu’en 2020, les Français fassent un geste et se contentent de deux semaines de congés payés au lieu de quatre, mais le débat reste ouvert. Les 35 heures sont également dans le collimateur du gouvernement. Dans certains secteurs essentiels (nourriture, fournitures médicales, etc.), la durée de travail pourrait être augmentée, comme le prévoit l'article 7, pour « permettre aux entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale de déroger aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical ».
Dans le projet de loi adopté par le Sénat, cette réduction des acquis sociaux n’est pas limitée à l’année en cours mais resterait valable une fois la crise surmontée. Un amendement fixant la fin de ces dérogations au 1er mai 2021 a été rejeté. Mais le projet doit être adopté par l'Assemblée nationale d’ici dimanche 22 mars et il peut encore être amendé.
Néanmoins, le gouvernement a assuré qu’aucune des mesures de régression sociale n'a vocation à être pérenne. Cependant, le député LREM Laurent Saint-Martin, rapporteur général du budget, a expliqué qu’"un grand débat" va avoir lieu "sur les conséquences à tirer des modèles économiques et sociaux lors du grand plan de relance". Comme Muriel Pénicaud a commencé à poser certains jalons ("On demandera un effort raisonnable à chacun dans ce moment qui restera dans les livres d’histoire"), on peut imaginer, vu les sommes engagées, et le creusement des déficits et de la dette, qu'il faudra demander aux travailleurs, à un moment ou un autre, une contribution à cet effort national.
Des réductions importantes et durables des acquis, couplées à une augmentation des impôts une fois la machine relancée, semblent inéluctables mais seraient difficilement acceptées par nos compatriotes et le climat social va s’alourdir considérablement. Cependant, nous sommes dans une configuration entièrement nouvelle : rien ne sera plus comme avant et les comparaisons avec les événements passés ne sont plus de mise.
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