L’épistocratie, syndrome du macronisme

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Un excellent article paru dans Le Monde du 19 octobre et signé d'un estimable constitutionnaliste, Alexandre Viala, se penche sur cette nouvelle maladie politique : le macronisme. Maladie diagnostiquée dans des termes quasi identiques par tous les cliniciens, venus de gauche ou de droite. M. Viala note que ce gouvernement s'en remet à des sapiteurs, censés tout savoir sans que l'on n'ait le droit d'en douter ; une pensée unique et thatchéroïde. D'où le nom d'épistocratie, gouvernement non pas de savants mais de sachants.

J'adhère à 99 %. Quid du 1 % de divergence ? Une partie de la conclusion où il est écrit que "seule la revitalisation du clivage entre une droite et une gauche de gouvernement, proposant deux alternatives irréductibles l'une à l'autre, pourrait déjouer ce scénario que la “révolution” issue des urnes du printemps est en train d'écrire au péril de la démocratie"... Si je suis d'accord sur le péril, je suis plus sceptique sur la façon d'y échapper. Je ne crois pas cette revitalisation possible à court terme ; de surcroît, je ne la crois pas souhaitable, ne fût-ce que pour pouvoir fédérer rapidement des forces de résistance : nous n'avons pas cinq ans.

Voici mon idée. Face à un personnage qui irrite les deux tiers des Français et réunit contre lui la totalité des intellectuels de haut niveau, de droite comme de gauche, articulant pratiquement les mêmes griefs, il faut réunir les mécontentements. Macron se dit ni de droite ni de gauche ? Que nos intellectuels se disent, eux, et de droite et de gauche. Là sera la véritable antinomie du macronisme. Car reconstituer la droite et la gauche serait diviser l'opposition en deux, donnant un abonnement élyséen à Macron pour dix ans. D'autant que les extrêmes viendraient encore affaiblir les forces d'opposition : c'est le cas actuel de quatre partis sans espoir de les voir s'unir et, donc, d'accéder au pouvoir, alors que la grise cohue en marche ne représente que 25 à 35 % des Français... De plus, si on devait reconstituer (ce qui n'est guère envisageable, vu leur état) la droite et la gauche, il faudrait d'abord changer le système électoral qui a permis d'ériger en duopole le PS et l'UMP ; puis leur éloignement du peuple et la faillite consécutive.

De surcroît, et surtout, un clivage plus important que "droite/gauche", et qui le transcende, est apparu : la mondialisation et l'Europe fédérale. Et il faut bien reconnaître que la mondialisation, et l'Europe fédérale qui en est l'instrument, sont à la fois contre la gauche par la doxa économique et sociale et contre la droite classique par sa tentative d'abolir les nations comme cadre historique où se prennent démocratiquement les décisions et où se transmettent les valeurs morales et culturelles.

On observe que la majorité d'idées qui s'est constituée depuis trois mois transcende la gauche et la droite. Il est frappant de voir que tous ceux qui ont écrit sur Macron disent des choses assez proches : Taguieff, Finkielkraut, Onfray, Bellamy... Ajoutons-y des chroniqueurs et polémistes comme Zemmour et Polony. Anti-Bruxelles, antimondialisme, anti-OTAN, anti-immigration de masse et anti-islamisme, anti-économisme et financiarisme, anti-ubérisation. Farouchement anti tout ce que représente Macron.

Et ce puissant courant est pro-démocratie participative (proportionnelle et référendum), alter-européiste, altermondialiste, pro-frontières intelligentes, souverainiste, partisan de la "monnaie pleine" (et monnaie commune), de la participation dans les entreprises, de la défense de l'agriculture et de l'industrie, d'une école d'excellence où l'on acquière les outils de la pensée et de l'expression.

Bien sûr, il y aura des nuances, peut-être une nouvelle droite et une nouvelle gauche, souverainistes, humanistes, sociales, mais acceptant à nouveau, pour la première fois depuis 1790, une éthique commune, celle de la Fédération. Une alternance ne sera possible que parce qu'elle aura été théorisée par des penseurs hors du désordre politicien. En quelque sorte une "contre-épistocratie" de vrais savants sans ambition autre que celle de servir de référents désintéressés ; en opposition à la fake epistocracy de sous-intellectuels, techniciens aux ordres.

Aux ordres de qui prétend détenir une "pensée complexe" là où il n'y a qu'une prétention, certes habilement présentée, et, au fond, un "complexe de la pensée". Citer à tort et à travers des auteurs fait cultivé mais n'est pas penser. Cette symphonie d'un "nouveau monde" vaticiné s’avérera vite n'être qu'un jingle commercial crispant car répétitif et inefficace.

Henri Temple
Henri Temple
Essayiste, chroniqueur, ex-Professeur de droit économique, expert international

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