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Comme chaque année, à l’occasion de l’été, Boulevard Voltaire vous offre des extraits de livres. Cette semaine, La Guerre au français, de Marie-Hélène Verdier.

L’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 est toujours en vigueur. Rien n’en a été abrogé. Elle est l’acte fondateur de la primauté et de l’exclusivité du français dans les documents relatifs à la vie publique du royaume de France. Elle fait du français la langue officielle du droit et de l’administration, en lieu et place du latin. Elle garantit l’unité du pays. Qu’on ne dise pas qu’elle n’est plus d’actualité. Un parti régionaliste qui se présentait aux législatives voulait, il y a peu encore, inscrire les langues régionales dans la Constitution. Revendication récurrente. Rien de nouveau sous le soleil de France.

C’est en raison de cette ordonnance (confortée en 1794, en 1992 avec l’article 2 de la Constitution ainsi que le 4 août 1994) que le Premier ministre vient de bannir, en novembre 2017, l’écriture inclusive des textes émis par le gouvernement. On ne l’a pas rappelé. On le fait donc ici : l’ordonnance de 1539 dit que les arrêts doivent être rendus "clers et entendibles" (entendez : compréhensibles). L’article 1 alinéa 2 du 4 août 1994 "dispose que la langue française est la langue des services publics". On comprend aisément que l’écriture inclusive n’étant pas "clere et entendible" ne peut être celle des services publics. Quant à l’Académie française, fondée en 1634, elle a pour fonction de veiller sur la langue française, de la normaliser et de la perfectionner. Sa mission, assignée dès l’origine par lettres patentes de 1635, est de "fixer et d’uniformiser la langue française". Tous mots insupportables à une sensibilité contemporaine. Elle a pour fonction de composer un Dictionnaire. Il en est à la neuvième édition. C’est cette même Académie qui a rappelé le statut juridique de la langue : aucun texte ne donne à un gouvernement "le pouvoir de modifier de sa seule autorité le vocabulaire et la grammaire du français". Quoi que vous fassiez et écriviez, que vous pensiez, le Dictionnaire de l’Académie fait, in fine, autorité. Dans la langue, la coutume et l’usage invoqués par notre Jeannot Lapin est une loi plus sage que la force. Après cela, écrivez ce que vous voulez. Nous sommes en France où règne, Dieu merci, la liberté d’expression. Montez au créneau. Écrivez comme bon vous semble. Viva la Libertà, comme dit l’autre !

Cessons plutôt de barguigner : défendre et illustrer, enrichir la langue française, ce n’est pas barbariser à tout bout de discours. La lettre « e » ne fera pas changer le regard des hommes sur les femmes ni inverser la courbe du chômage féminin. "La langue n’est pas un outil malléable et utilisable, modifiable au gré des désirs et des projets politiques", rappelle l’Académie. Pas plus des projets littéraires, d’ailleurs. Il suffit de penser à tous ceux qui ont œuvré à la « Défense et illustration de la langue française ». Que de mots, forgés, artificiellement, à partir du latin ne sont pas restés dans notre langue ! Que « les femmes et les hommes » de bonne volonté travaillent plutôt à bien connaître leur langue, à s’exprimer correctement par des phrases, avec un vocabulaire toujours plus riche et précis au lieu de s’adonner à la paresse ardente, ô combien rébarbative ! de mettre des « e » partout. Qu’on redevienne plutôt sensible au « e » tantôt muet tantôt non muet des mots français, une des beautés, dit-on, de notre langue. Et que l’on fasse plutôt, à l’écrit comme à l’oral, les accords obligés du participe passé après l’auxiliaire avoir en disant : « Les vacances que j’ai prises furent agréables », ainsi que les liaisons, au lieu de blesser l’oreille en disant : « quan on » et « aprè avoir ». Ce serait un sacré grand pas en avant de fait.

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21 août 2018 à 9:29

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